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LES ASSISES DE LA CITÉ PROCHAINE


Ce que nous proposons pour l’histoire, nous le proposons pour d’autres sujets ou comme on dit aujourd’hui, non sans cette petite pédanterie dont souffre souvent le style, pour d’autres disciplines : les anciennes comme la philosophie ou les nouvelles comme la biologie. Pour toutes, les cadres d’enseignement ont été dressés dans ce même esprit que définit la charte générale de l’U.P.U. en son article 3 ainsi conçu : « la notion de la connaissance doit être distinguée de la connaissance elle-même, cette dernière pouvant être en quelque sorte inventoriée (c’est-à-dire définie ou cadastrée) sans qu’on en pénètre la substance ». Ce qui signifie que l’on peut faire comprendre même à des incultes en quoi consistent tels ordres de phénomènes ou de spéculations sans qu’ils aient besoin pour cela d’apprendre à en utiliser eux-mêmes le mécanisme.


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Un dernier mot. Ces assises de la Cité, ceux qui les édifient travailleront-ils comme je le donnais à entendre tout à l’heure pour la paix ? Oui, pour la paix sociale et accessoirement pour la paix internationale. Et voici comment.

L’enseignement tel que nous le concevons sera un grand producteur de modestie. Et la modestie, à son tour est productrice de pacifisme. La route est indirecte. Il n’est pas certain que ce ne soit pas la plus sûre. Regardons autour de nous, observons les peuples. Jamais on ne s’était autant visité. Jamais on n’avait davantage « pris contact » et « échangé des vues ». Jamais surtout on n’avait fait autant appel à la « chaleur communicative des banquets », cette grande trompeuse. Avez-vous pourtant le sentiment que la compréhension entre les États, entre les professions, entre les consciences, entre les individus ait largement progressé ? Est-ce que vous ne sentez pas régner une sorte d’incompréhension par moments plus redoutable que l’ignorance d’hier par ce que celle-là était plus ou moins consciente et que la première est inconsciente. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet-là et sur la faillite relative du palabrisme. Que de fois en écoutant des discussions courtoises et bien intentionnées, il m’est advenu de songer à ces habitants de Beaucaire et de Tarascon qui se faisant vis-à-vis sur les deux rives du Rhône avaient, dit une légende qui sent déjà son Tartarin, résolu de se partager la dépense d’un pont destiné à les réunir ; malheureusement n’ayant pas pris soin d’amorcer les constructions bien en face l’une de l’autre, les deux tronçons ne se raccordèrent pas au milieu du fleuve.

Messieurs, je crois après avoir bien observé et réfléchi que la vanité est la principale pourvoyeuse de l’incompréhension contemporaine ; vanités professionnelles, vanités de castes… et tout cela repose sur un maigre savoir ridiculement exalté par ceux qui l’ont acquis et qui se croient parvenus ainsi au sommet des plus hautes spéculations spirituelles. Bénis seront les enseignements qui donneront à nos successeurs l’habitude de suivre le contour de ce qu’ils ignorent plutôt que de ce qu’ils savent et réussiront à leur faire éprouver au besoin quelques uns de ces frissons salutaires que provoque par exemple la contemplation des abîmes sidéraux.

Dans la charte de l’U.P.U. déjà citée figure un article 5 ainsi conçu : « On doit viser à subsister au sentiment de vanité satisfaite qu’engendre le demi-savoir celui de l’ignorance humaine, l’instruction donnée pendant l’enfance et l’adolescence ne devant plus être considérée par personne comme suffisant à assurer la formation intellectuelle de l’individu ». Messieurs, je le crois fermement, le jour où pareille doctrine aura prévalu l’humanité réalisera un progrès bienfaisant dans la voie de la paix véritable.


Pierre de Coubertin.