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LES ASSISES DE LA CITÉ PROCHAINE


Les deux tiers de la vie y suffiraient à peine. Il faut donc instaurer des méthodes nouvelles. Quand on n’a pas le loisir d’explorer une région, le pic à la main, en gravissant lentement ses sommets, on la survole. L’enseignement, désormais, doit devenir une aviation au lieu d’être un alpinisme. »

Une aviation intellectuelle. C’est bien cela. On survolera le domaine de la connaissance. Donc premièrement, il faudra le reconnaître, ce domaine de la connaissance et puis le cadastrer de façon que le voyage aérien en soit facilité. Mais il y a beaucoup de degrés dans la manière de survoler un territoire. On peut en prendre une vue d’ensemble rapide ; on peut la prolonger par des ralentissements, des évolutions, des rapprochements du sol… on peut enfin atterrir plus ou moins longuement sur des points déterminés. On peut aussi répéter le survolement plusieurs fois de façon à bien se pénétrer de ce que la première vue a révélé. Quelle élasticité engendrera l’application à la pédagogie de pareils procédés. Encore n’en faut-il pas abuser. Après l’excès de myopie, il ne faut point verser dans l’excès de presbytisme. C’est pourquoi comme je le disais tout à l’heure, les réformes que nous préconisons ne touchent ni l’École primaire où s’apprend le maniement des outils servant à la culture ni l’École supérieure ou universitaire qui distribue le spécialisme pratique ou scientifique. Mais entre les deux nous prétendons, disions-nous déjà avec Lippmann, il y a bien des années, encarter « une ère d’idées générales embrassant l’ensemble du monde matériel et de l’évolution humaine afin que tout homme possède ainsi, au seuil de la vie active un aperçu du patrimoine dont il est à la fois bénéficiaire et responsable ».


iv


Cette aviation intellectuelle susceptible d’une gradation si nuancée, l’université populaire peut y participer. Ce survolement du domaine de la connaissance, ses auditeurs peuvent y prétendre, Les règlements que nous avons préparés y ont pourvu ; ils sont stricts, sévères même. Il faudra empêcher l’institution de dévier ; elle doit garder quelque intransigeance hautaine pour demeurer uniquement pédagogique. À cette condition, elle sera vraiment une des assises de la cité prochaine.

Le temps est court pour expliquer ces choses. Je veux tenter de les illustrer par un exemple. Prenons l’histoire qui me concerne plus particulièrement. L’Union pédagogique lui fait une place considérable dans ses préoccupations mais à l’Histoire universelle préalable. La réforme des études historiques se synthétise pour elle en une formule qui sans doute a déjà passé sous vos yeux mais dont la valeur a pu vous échapper. La correspondance Havas la reproduisait encore ces jours derniers à propos d’une lettre dans laquelle j’avais prié M. le président Hymans d’en vouloir bien saisir ses collègues de l’Assemblée de Genève :

« Tout enseignement historique fragmentaire est rendu stérile par l’absence d’une connaissance préalable de l’ensemble des annales humaines : ainsi l’habitude des fausses proportions de temps et d’espace s’introduit dans l’esprit et y demeure. En conséquence, l’histoire d’une nation et celle d’une période ne peuvent être utilement enseignées que si elles ont été préalablement situées dans le tableau général des siècles historiques. »

Qu’un pareil principe ait rencontré la coalition des préjugés courants inspirés par la routine et des intérêts professionnels, il n’y a pas lieu d’en être surpris. L’opposition jusqu’ici a été plus sournoise que déclarée. Le bon-sens et la loyauté finiront par en avoir raison.

Qu’a-t-on objecté ? que certains nationalismes à tendances aggressives s’en verraient émoussés. Cela on le pense et c’est exact ; mais on n’a pas osé le dire. On a plutôt argué d’une prétendue incapacité de l’adulte non cultivé où de l’adolescent à pouvoir saisir les ensembles. Il lui faudrait toujours s’élever du particulier au général ; vieille querelle de mots que la mordante ironie d’un Toppfer s’amusait déjà à ridiculiser. Et pourquoi cette incapacité ? Sur quoi la base-t-on ? Elle n’est pas logique et de plus, elle n’est pas exacte. En ce qui concerne des auditoires ouvriers, l’expérience a été faite. Elle va l’être sur des auditoires scolaires.