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le redressement de l’axe

n’ai jamais vu qu’on manifestât à l’étranger ni haine ni jalousie à l’égard de la Révolution, mais on a de son œuvre une conception qui ne saurait à aucun degré s’accorder avec la nôtre.

La nôtre est simpliste ; elle se résume en quelques lignes. Le monde allait de travers : le peuple français, d’un vigoureux coup d’épaule, en a redressé l’axe et, dans cette noble opération, il s’est meurtri et blessé pour le bien de tous. Un groupe de héros tragique se dévoua à l’entreprise ; une épopée surhumaine a répandu ensuite, aux quatre coins de l’Europe, les idées nouvelles d’émancipation, de justice et d’égalité. Une telle rénovation ne pouvait s’accomplir sans que des excès fussent commis et des intérêts individuels sacrifiés ; du moins le monde tourna-t-il ensuite autour d’un axe redressé. Voilà ce que j’ai appris au collège — et c’était chez les jésuites ! D’un bout du pays à l’autre, voilà ce qu’apprennent les écoliers dans les classes et les adultes aux cours du soir. Voilà ce que ressassent les discours de distributions de prix et les harangues de comices agricoles. C’est le leitmotiv de notre race, le refrain favori de l’orgueil national.

Deux Français ont osé, de nos jours, s’inscrire en faux contre cette conception de la Révolution : Le Play, qui avait observé sa patrie d’au-delà des frontières, et Taine, qui descendit dans les profondeurs du détail historique. Leurs conclusions, toutefois, ne sont point conformes à ce qui s’enseigne dans les écoles et collèges de l’étranger. En effet l’un et l’autre jugent qu’on a touché à l’axe du monde, mais plutôt pour le détériorer ; Taine en est à demi persuadé et Le Play, tout à fait certain. Les étrangers, eux, ne paraissent pas savoir en quoi consiste cet axe ni s’il existe, ou bien s’il n’y en a pas une demi-douzaine, de sorte que ce côté de la question leur demeure obscur. Ils pensent de l’ancien régime tout le mal que nous avons pris soin d’en dire, c’est-à-dire beaucoup plus que nous n’en pensions nous-mêmes et qu’il n’en exista en réalité. Ils considèrent ainsi que les destructions opérées par la Révolution sont