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responsabilités nationales

nous en a rendus et nous en rend encore aujourd’hui responsables. La honteuse tragédie qui suivit et qui se joua dans Paris sous l’œil ironique de l’ennemi a beau avoir été le fait d’une poignée d’internationalistes, elle n’en a pas moins fait une tache à notre blason, — et de même toutes les grandes iniquités historiques, tous les grands forfaits des siècles écoulés ont été justement imputés à ceux au nom desquels ils furent accomplis. Certes, c’est une consolation pour l’humanité de songer que les partisans du crime constituent rarement la majorité, mais cela n’influe pas sur le jugement qu’il engendre. Le crime commis au nom d’une nation provoque la responsabilité nationale et la crée. Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter d’en être responsable, c’est d’en être victime. Ainsi, dans les douloureux événements qui viennent de se produire, la responsabilité de la Serbie est indéniable ; les seuls Serbes qui ne soient point éclaboussés par l’infamie de tels événements sont ceux qui y ont laissé leur vie.

De nos jours, il faut le reconnaître, ces idées-là prêtent à discussion. Tandis que chacun prêche la solidarité humaine et y fait appel en termes d’une facile éloquence, le sens de la solidarité nationale s’émiette et se voile. On dispute sur sa nature sans se préoccuper de reconnaître le fait pesant de son existence ; on croit y échapper jusqu’au jour où quelque tragique événement le fait apparaître en pleine lumière avec ses rudes et inévitables conséquences. Officiers-conspirateurs en quête d’un sabre selon leur goût ou partis politiques à la recherche d’un tremplin électoral favorable à leurs intérêts, les uns et les autres devraient se remémorer, avant d’agir, la loi suprême qui les lie à leurs compatriotes et fera entrer les résultats néfastes de leurs audaces ou de leurs calculs dans le patrimoine commun que la race traîne après elle.