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la transformation de la méditerranée

les échanges rémunérateurs. La Méditerranée, précisément, se trouvait être une de ces routes par le travers dont la nature s’est montrée si peu prodigue ; sur toute l’étendue de la planète, il n’en est point une seconde qui puisse lui être comparée sous le rapport des avantages géographiques ; on conçoit qu’elle ait suscité des appétits gargantuesques, Celui de l’Angleterre fut le plus violent. Le long détour imposé à ses navires pour gagner l’Inde était stérile et coûteux ; la terre sud-africaine n’avait pas encore livré le secret de ses richesses ; on ignorait son or et ses diamants ; les plans d’un Cecil Rhodes eussent fait sourire ; une maigre agriculture attirait peu de passagers et la routine hollandaise était une médiocre cliente pour le marché britannique. Gibraltar fut fortifié, Malte aussi ; une diplomatie plus habile que scrupuleuse escamota Chypre, et le lion britannique fut installé aux portes du canal de Suez pour veiller sur le transit.

Il y eut, en ce temps-là, un péril anglais ; personne ne s’en inquiéta. On attendit qu’il fût passé pour s’en alarmer — comme font les enfants qui tremblent d’entendre le tonnerre après que l’éclair a détruit le danger. C’est maintenant qu’on nous parle de la mainmise de l’Angleterre sur la Méditerranée, maintenant que ses intérêts vitaux n’y sont plus concentrés et que, par contre, beaucoup de canons alliés ou adverses sont prêts à y parler toutes les langues ; c’est à l’assaut de cette Babel marine que nos voisins, gens pratiques, iraient dépenser leurs forces et leurs millions, quand l’Afrique est à eux et que les routes désirables leur sont ouvertes ?… Non, ce n’est point vraisemblable, ni possible. La paix méditerranéenne n’est plus menacée : un heureux cosmopolitisme y préserve un sage équilibre.