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la transformation de la méditerranée

paru ébranlées, voient s’ouvrir devant elles un avenir meilleur : la mer Egée s’hellénise à nouveau et il est bien probable que quelques portions de la côte marocaine sont destinées à s’hispaniser avant longtemps — ce seront là des dominations pacifiques dont l’Europe n’a rien à redouter. Tandis que le croissant ottoman, en son déclin mélancolique, figure une lune à son dernier quartier, la croix russe promène sur des flots jadis interdits une activité printanière ; avant peu, les aigles d’Allemagne paraîtront à leur tour et peut-être même les étoiles américaines prendront-elles l’habitude de briller, à l’occasion, dans les ports levantins. La Méditerranée devient un lac cosmopolite. La récente manifestation d’Alger atteste l’évidence de cette évolution : en même temps qu’une preuve flatteuse de notre prestige au dehors, il faut y voir l’indice d’un état de choses longtemps imprévu mais désormais certain.

La Méditerrannée sillonnée par des flottes si diverses, son importance commerciale ne saurait déchoir : elle a cessé seulement d’être exclusive — et c’est là un fait d’une haute portée. Des routes inattendues ont crevé la masse des continents, des chemins de fer auxquels on n’avait jamais songé vont traverser les montagnes revêches et les déserts terribles : l’Europe n’a plus besoin de se chercher des façades méditerranéennes ; il y en a d’autres. La Russie bâtit la sienne sur l’océan Pacifique en même temps que, d’un geste hardi, elle s’est procuré l’assurance d’une location à bail sur le golfe Persique ; que valent désormais à ses yeux les issues traditionnelles, mais étroites et difficultueuses, par le Bosphore ou l’Afghanistan ? Elle peut se contenter de les surveiller, d’y maintenir l’ordre : ce n’est plus par là que son sang va chercher à circuler. L’Allemagne, à son tour, a entrepris une curieuse tâche industrielle à travers le dédale ethnique de l’Asie Mineure et les sablonneuses solitudes de la Mésopotamie. Gardera-t-il son caractère allemand, ce réseau autour duquel s’agitent déjà tant de rivalités et de convoitises ? — Nul n’oserait le dire car toute l’habileté déployée par Guillaume ii à Constan-