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LE RÊVE DE LA GRÈCE


16 mars 1903.

Lorsque la Grèce eut ressuscité, encore enfiévrée de l’effort gigantesque qui l’avait mise debout, les souvenirs les plus récents de sa longue histoire remontèrent les premiers à son cerveau et son regard se porta vers ces rives du Bosphore qui représentaient pour elle la revanche nécessaire sur le sort et sur les hommes. C’est de là que son génie créateur avait été chassé trois cent soixante-quinze ans plus tôt ; c’est là que le drapeau de sa civilisation glorieuse avait été abattu par les représentants d’une barbarie obscurantiste. Sur les coupoles de Sainte-Sophie, elle irait replacer victorieusement la croix du Christ ; du firmament européen elle chasserait à son tour le croissant aux reflets sanguinaires. Ce fut là son rêve. Elle en vécut longtemps. Il lui semblait que les jalousies internationales qui montaient la garde autour de Constantinople en préparaient la réalisation future. Bientôt, d’ailleurs, la force ottomane parut s’épuiser : le Turc devint « l’homme malade » dont les jours sont comptés. Alors, il n’y aurait même pas besoin de se battre ; qui donc pouvait disputer l’héritage sans mettre le feu aux poudrières d’Europe ? Seule la Grèce saurait neutraliser les terribles détroits et restaurer une Byzance libre-échangiste, métropole du commerce et de l’art dont les progrès profiteraient à tous sans inquiéter personne. Et puis, pouvait-on nier son droit ? Au centre des provinces continentales comme sur les bords des