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que ferons-nous ?

Et tout cet effort, pourquoi ?… Pour empêcher l’Allemagne d’arriver à Trieste. Mais qu’elle y arrive donc ! La présence de ses navires dans la Méditerranée y rétablira un équilibre toujours prêt à se rompre en faveur des flottes anglaises. Et ce sera, de plus, la sécurité pour la Hollande et la Belgique, sécurité qui nous importe très fort, à nous autres Français. Car enfin, l’Allemagne est beaucoup trop riche et trop peuplée pour vivre ainsi sans débouchés maritimes et, si elle ne parvient pas à s’ouvrir l’Adriatique, il faudra bien qu’elle s’ouvre la Manche. Qu’avons-nous à craindre de cette Allemagne agrandie, aux deux seuils de laquelle l’Angleterre et l’Italie veilleront comme des dogues jaloux, — de cette Allemagne qui sera alors divisée en deux groupes d’égales forces, le groupe bavarois-catholique et le groupe prussien-protestant, ce qui la rendra certainement plus difficile à gouverner, et partant moins absolue dans ses passions et moins entière dans sa politique ? Elle coupera, dit-on, l’Europe du haut en bas et nous isolera de la Russie ? L’épouvantail n’est guère effrayant. Les voyages de nos présidents n’en seront même pas gênés, puisque la Baltique est leur route traditionnelle ; et certes, du temps que la Triple Alliance unissait fortement l’Italie et l’Autriche à l’Allemagne, nous risquions d’être séparés de l’empire moscovite par une barrière autrement étendue puisqu’elle allait de Kiel à Palerme.

Non, sous quelque angle qu’on envisage les choses, il apparaît clairement que, dans l’affaire autrichienne, la France n’a point d’intérêts directs et vitaux ; son rôle consistera à faire le jeu d’autrui et à payer très cher cet honneur. Elle se grisera de mots, s’intoxiquera de nobles sentiments et partira en guerre le cœur léger, abandonnant, comme il y a deux siècles, les réalités coloniales pour les mirages continentaux, renonçant à cette paix de la métropole qui est la condition sine qua non des vigueurs loin-