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le prestige français

maintenant de regarder avec inquiétude de notre côté : c’est là le prestige que nous avons perdu ; il était très doux à notre vanité…

Il n’allait pas pourtant sans quelques fâcheuses conséquences. Prompts aux illusions, nous nous figurons volontiers que l’Europe ne se tenait pas d’aise en présence de nos frasques et que d’être secouée et bouleversée par nous lui causait des plaisirs infinis. Nous pensons qu’elle jugeait nos barricades spirituelles, nos innovations politiques géniales, nos revirements de doctrines sublimes et nos interventions imprévues pleines d’à-propos. La vérité, c’est que nous l’avons souvent charmée, mais plus souvent encore agacée et irritée. Un grand peuple qui, placé au centre de la vie civilisée, déchaîne vingt années de guerre, renverse les trônes et en élève de nouveaux, impose des rois et défait les frontières ; un peuple qui proclame la liberté et établit le despotisme, qui invente le « droit au travail » et est réduit à en mitrailler les victimes, qui installe le suffrage universel le matin même où il abat la République et provoque le drame de Crimée le lendemain du jour où il a promis la paix au monde, — un tel peuple peut rester séduisant malgré tout, mais on ne fait rien pour lui à l’heure du péril. L’historien nous rendrait service qui, sans exagération et sans ménagement, nous révélerait comment fut accueillie, non seulement de nos trop nombreux ennemis mais de nos meilleurs amis, la nouvelle du désastre de Sedan : châtiment mérité, dirent les premiers ; salutaire leçon, pensèrent les seconds.

La lutte héroïque et sans espoir qui suivit nous ramena bien des sympathies ; ce qui s’est passé depuis lors nous en a valu davantage encore et de plus solides. Éloignez-vous de votre clocher et vous comprendrez. La troisième République, en effet, étudiée de haut et de loin, se recommande par la mise en œuvre des qualités qui nous étaient devenues le plus indispensables et semblaient en même temps le plus étrangères à notre tempérament : persévérance, esprit de suite, travail silencieux et régulier. Pour la première fois,