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la résurrection des peuples

jours son sang, sa foi, sa langue et ce trésor de légendes et d’espoirs qui constitue l’arche d’alliance des nations en esclavage ! Les rares voyageurs qui visitaient l’Acropole gardée par des sentinelles turques et croisaient, dans les ruelles de la bourgade endormie à ses pieds, un peuple en fustanelle ne songeaient pas à chercher parmi les pauvretés présentes des vestiges du passé. Oublieux de l’empire grec qu’ils nommaient byzantin et dans lequel ils ne voyaient alors qu’un prolongement oriental de l’œuvre romaine, la Grèce pour eux avait pris fin à la chute de Corinthe. Sans doute on pouvait suivre au delà l’influence de son génie, le développement de son action littéraire et artistique sur ses vainqueurs, mais ses traces ethniques se perdaient ici. Les idées seules survivaient ; les hommes avaient disparu avec les monuments.

En ce temps, songez-y, la terre fidèle n’avait encore rien restitué des merveilles qu’elle recélait : on ignorait que Delphes et Olympie, qu’Éleusis et Épidaure survécussent sous la poussière ; la pioche enthousiaste de Schliemann n’avait point troublé le sommeil des guerriers aux masques d’or. On ignorait de même que, sous les coupoles de plâtre des humbles chapelles, les popes illettrés entretinssent à la lueur tremblotante des saintes lampes le feu sacré du patriotisme, — d’un patriotisme intégral qui allait de Sparte à Byzance et se réclamait de Constantin XII autant que de Léonidas ou de Périclès.

La conduite de l’Europe officielle fut scandaleuse. Six années d’une guerre sans merci ne forcèrent point sa pitié. Plusieurs des puissances faisaient des vœux pour l’oppresseur et le soutenaient même en secret. Repoussés brutalement du congrès de Vérone, les délégués hellènes avaient frappé en vain à toutes les portes. Des dévouements illustres et les souscriptions des libéraux d’Occident ne suffisaient point à leur assurer la victoire : Navarin la leur donna, mais combien tardivement ! Et plus de deux années devaient s’écouler encore avant que leur indépendance fût définitivement reconnue. Trois cent mille Grecs