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les étapes d′une illusion

cune, le droit de se réclamer de certaines supériorités. Un peuple peut atteindre très haut par d’autres méthodes ; les exemples en abondent. L’anglo-saxonisme ne représente pas la perfection, mais c’est une grande, une très grande force et, comme telle, on doit la connaître et la comprendre. Dans le monde d’à présent, il n’est pas raisonnable de laisser se fabriquer à côté de soi une dynamite nouvelle sans chercher à en surprendre la formule. Tant mieux si vous trouvez, à l’examen, qu’elle ne vaut pas celle dont vous faites usage.

C’est à quoi, pour ce qui concerne la dynamite anglo-saxonne, nous ne sommes point parvenus. Le mot malheureux de Napoléon pèse sur nous. En qualifiant de « marchands » des adversaires dont la sombre ténacité l’irritait, il a, pour un siècle, aiguillé notre jugement sur une fausse piste. Ni l’étude d’une longue histoire, sur laquelle sans doute l’empereur n’avait jamais réfléchi, ni le spectacle d’événements contemporains, assez précis pourtant et assez probants, n’ont réussi à nous ouvrir les yeux. Nous persistons à voir dans le souci de la richesse la pierre angulaire d’une civilisation qui repose, au contraire, sur une base essentiellement morale. Il est vrai que les succès commerciaux des Américains et des Australasiens venant après ceux des Anglais sont de nature à dissimuler au premier abord ce fait capital. Qui ne comprend pourtant que, par les appétits qu’elle excite, par les vices qu’elle développe, et surtout par les rivalités inévitables qu’elle attise, une vie matérielle trop intense serait de nature à désagréger les races et à diviser les empires bien plus qu’à les unifier et à les cimenter ? Ce raisonnement, nous le faisons, et c’est pourquoi nous ne cessons de prévoir et de prédire des catastrophes anglo-saxonnes qui n’arrivent jamais.

Quand donc, également éloignés de l’anglophobie puérile et de l’anglomanie morbide, reconnaîtrons-nous qu’il faut chercher le secret d’une grandeur indéniable dans l’accord des consciences ? D’un bout à l’autre de l’univers, sous des cieux opposés, parmi des humanités divergentes, tous ceux