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les étapes d’une illusion

d’une entreprise fantaisiste comme la guerre de Crimée, laquelle finalement ne ruina personne. Il y a quelques années, la même opinion, toujours judicieuse quand il s’agit des choses britanniques, s’esclaffait à l’idée d’une Australie unifiée. Sir Henry Parkes n’était qu’un rêveur, et jamais… vous entendez bien, jamais, la Fédération ne se réaliserait. Par contre, l’Hindou attend, sans faute, le « Tsar blanc ». Oh ! il n’est pas pressé, parce que l’Angleterre a tout de même un peu amélioré sa situation, mais elle n’a pas conquis son cœur. Son cœur est tout entier au Tsar blanc ; on ne sait pas pourquoi, par exemple, et les Russes ne sont pas les derniers à rire de ce cliché qui a alimenté tant de chroniques occidentales. S’il leur fallait, un jour, conquérir l’Inde, ils compteraient sur les lances de leurs cosaques et non point sur les tendresses populaires. En quoi ils auraient raison.

Aujourd’hui une évolution rationnelle et inévitable est en train de s’accomplir sous nos yeux avec la lenteur inhérente à ce genre de phénomènes ; le rapprochement des diverses branches de la grande famille anglo-saxonne est un fait certain ; depuis longtemps, ceux qui connaissent les Américains autrement que pour avoir fait un tour de quelques semaines chez eux sans savoir leur histoire ni parler leur langue ont perçu les symptômes de ce rapprochement auquel les jeunes communautés australiennes prêtent une main propice. Mais notre presse ne veut rien entendre. Elle tire de menus faits qui surviennent des arguments en faveur de sa thèse favorite : l’antagonisme irréductible de l’Anglais et de l’Américain. Ils se détestent ! ils se jalousent. Cela a toujours été et cela sera toujours. Elle considère que c’est une affaire entendue.

Les « fruits mûrs », le « Tsar blanc », l’inimitié anglo-américaine ne sont que les formes diverses d’une même illusion, terriblement tenace puisque les démentis successifs des événements n’en viennent pas à bout. La France ne comprend point d’où vient la force anglo-saxonne et, en ignorant la source, elle est incapable d’en calculer les