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terre de californie

les caractéristiques d’un avenir tout différent s’inscrivent dans les regards, dans les altitudes, dans mille petits riens isolément imperceptibles mais dont l’ensemble signifie beaucoup…

C’est le 7 juin 1846 que les États-Unis s’emparèrent de la Californie et de sa capitale qui s’appelait alors Yerba-Buena. La domination mexicaine expirante laissait peu de regrets au cœur des dix mille blancs éparpillés entre la sierra Nevada et l’Océan. La vieille aristocratie locale, aimablement paresseuse, élégante, naïve et brave, criblée de dettes d’ailleurs et incapable d’établir une autonomie durable, considérait comme des parvenus et des roturiers les républicains de Mexico. Ses sympathies s’en allaient, fidèles, vers la mère patrie, vers l’Espagne lointaine et faible dont aucun secours ne viendrait… Dans les replis des vallons fleuris, au bord des anses aux eaux calmes, les vieilles missions franciscaines s’acheminaient doucement vers la mort. Une végétation délirante parant leurs ruines de pisé envahissait les longs cloîtres, soulevait les dallages, grimpait le long des tours, mettait partout du pittoresque et de la grâce. Le reste de la population se composait surtout d’aventuriers yankees, trappeurs, outlaws, gens d’énergies farouches et d’ambitions effrénées qui filtraient pour ainsi dire au travers de la presque infranchissable barrière des montagnes Rocheuses et commençaient d’établir çà et là des settlements embryonnaires. Ceux-là ne se souciaient guère de l’Espagne ou des Franciscains et peut-être n’avaient-ils pas même le sentiment des spectacles radieux qu’offraient quotidiennement à leur vue l’atmosphère cristalline, les soirs embrasés, l’alternance heureuse des plaines, des bois et des monts, la caresse des flots sur les grèves dorées et cette effervescence joyeuse de la nature qui chaque printemps revêt le pays d’un manteau de fleurs aux nuances triomphales.