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l’espagne et ses filles

parcelle d’une indépendance laborieusement conquise et jalousement défendue. Les nationalités écloses à la voix d’un Bolivar continueront de se développer sans entraves. Mais au-dessus des nationalités, la race a retrouvé son unité et l’a proclamée. Les drapeaux ont échangé leurs saluts ; les escadres, leurs visites. Les soldats ont fraternisé et des hymnes nationaux on a fait disparaître les strophes ardentes qui soufflaient la haine. Toute l’Amérique espagnole a participé par ses représentants aux fêtes de la majorité d’Alphonse xiii et précédemment ses délégués, assemblés à Madrid, avaient arrêté le programme des échanges et des collaborations pacifiques de l’avenir.

C’est un fait immense que le rapprochement de soixante-trois millions d’hommes qui parlent la même langue, professent la même religion, se réclament des mêmes légendes et vivent du même esprit. De nos jours, de pareils rapprochements ont déjà exercé leur action sur la marche des choses et les conséquences en ont surpris l’univers. Jamais pourtant ils ne s’étaient opérés sous des auspices aussi favorables. Dans l’empire britannique, si robuste d’aspect, les Français d’Amérique et les Hollandais d’Afrique forment des éléments distincts dont le concours est loyal mais dont la personnalité subsiste entière. Aucune fusion n’est réalisable de ce côté : le Cap et le Canada demeureront, quoi qu’il arrive, des États mixtes. L’Inde est un facteur plus hétérogène encore et, quand bien même les Hindous ne jouent dans la direction de l’empire qu’un rôle en quelque sorte négatif, ses progrès dépendent pour une large part de leur sagesse et de leur fidélité. La diversité des confessions religieuses est extrême ; celle des formes politiques, à y regarder de près, n’est pas moins grande.

En face du monde anglo-saxon qui paraît puiser dans sa variété même une élasticité singulière, le monde espagnol se dessine en parfait contraste. Une heureuse proportion s’y révèle dans la répartition des forces ; l’équilibre n’en est menacé ni par la mère patrie ni par aucune de ses filles. Le cachet national s’y répand sur toutes choses :