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révolution mentale

terre et d’humanité qu’on appelle la Patrie ; c’était aussi l’honnête et laborieux enclos au dedans duquel s’opérait le développement normal de la carrière. Nous appliquions tous nos efforts à mieux scruter l’âme du pays, à bien dégager sa personnalité, à nous tenir en étroite communion d’idées avec lui. Nous visions d’autre part à ce que le métier devînt une seconde nature inséparable de notre être. Par là — par l’étude exclusive des choses nationales et rattachement jaloux aux choses professionnelles, nous atteignions à une conception équilibrée de la vie, à une règle harmonieuse de conduite.

Aujourd’hui chaque patrie est devenue étroitement solidaire des autres patries ; non certes qu’elle tende à s’y absorber. Les utopistes qui le croient ferment leurs yeux à l’évidence, car les nations cheminent au contraire vers une autonomie plus âpre et plus complète ; mais en même temps, elles réagissent sans cesse les unes sur les autres ; leurs moindres gestes ont des répercussions inattendues ; il est impossible à l’une d’elles de remonter un courant universalisé, de marcher seule au rebours des autres sans s’exposer à la déchéance. De sorte que la connaissance et la surveillance de l’étranger forment désormais une base essentielle du devoir civique. Si les Français avaient connu en temps voulu la question d’Égypte et la question du Maroc, s’ils avaient compris les aspirations intellectuelles du nouveau monde et les besoins économiques du Japon, quel renfort l’action gouvernementale n’aurait-elle point reçu, à l’heure des initiatives désirables ou des décisions forcées, du jugement assuré et de la volonté réfléchie de chacun d’eux ?

La carrière à son tour a cessé d’être une voie droite et unie pour devenir une piste embarrassée de durs obstacles et de carrefours indécis. L’homme qui n’est propre qu’à une seule besogne risque d’amers déboires sans compter que sa besogne elle-même empiète progressivement sur celle du voisin. Ne réclame-t-on pas de l’architecte moderne qu’il conçoive en artiste et exécute en ingénieur, de l’usinier qu’il