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ni rome ni carthage ?

pesantes des palais écroulés ; impossible, sans les méditer, de comprendre ce que fut la domination de Rome et comment son empreinte s’imprima, indélébile, sur la moitié de l’univers. Elle était armée, cette paix, assurément. Des légions fidèles en avaient la garde, peu nombreuses en proportion de l’ampleur des territoires qu’elles protégeaient mais fortes de leur permanence, de la bienveillance impériale et de l’esprit de corps noble et viril qui animait chefs et soldats. Elle était légale aussi ; la majesté de l’inexorable loi contribuait à l’assurer. Mais l’armée se tenait aux frontières et les principes de la législation dominaient de très haut le détail de l’existence quotidienne, n’entravant la pensée ni le geste de personne. La puissance romaine, satisfaite de l’ordre garanti, évitait — on peut même dire dédaignait — de peser sur lui. Elle s’en remettait, pour le conquérir, aux bienfaits distribués par elle et au cadre de beauté dont elle s’entourait. C’est ainsi que les peuples conquis entraient presque joyeusement dans la vaste unité de l’empire, certains d’y trouver, avec les éléments essentiels du progrès, la tolérance et la liberté. Nous avons pénétré désormais la nature du malentendu qui amena les persécutions et nous comprenons que la sublime et obligatoire intolérance du christianisme naissant, en heurtant de front une civilisation basée sur des notions inverses, ait amené ces crises sanguinaires. Si terrible qu’en soit le souvenir, il ne saurait enlever pourtant à la Paix romaine les caractères qui la distinguent entre toutes, — à savoir la sage réserve de l’action collective en face de l’autonomie individuelle et le respect robuste et serein accordé au citoyen par l’État.

De l’autre côté de la mer, une formule différente s’était dessinée qui, sans avoir jamais été reprise d’une manière aussi absolue par aucun peuple, inspira pourtant depuis lors plus d’une politique. Issue de l’idéal phénicien et de l’idéal grec combinés, elle inscrivait au premier rang des instincts humains la conquête de la richesse envisagée à la fois comme source du bien-être et comme instrument