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toutes les russies

universel, je vous demande un peu ! cela fait frémir, cette idée. Non seulement elle ne l’est pas, mais elle ne le sera jamais. Imaginez-vous un délégué des territoires cosaques pérorant et votant sur l’organisation des provinces baltiques, un député d’Irkoutsk discutant les intérêts d’Odessa, un représentant d’Helsingfors appréciant les revendications de la Petite Russie ? Mais ce sont là des mondes plus séparés les uns des autres, plus étrangers les uns aux autres que l’Irlande ne l’est par rapport à l’Égypte et l’Hindoustan au Transvaal. La vision d’un parlement russe vraiment représentatif est à coup sûr l’une des plus babéliques qui puissent hanter un cerveau ; la clameur cacophonique qui s’en échapperait assourdit d’avance les oreilles.

La Constitution que Nicolas ii vient d’octroyer — et qu’il fallait bien, dans l’état actuel des choses, se décider à octroyer, — je n’hésite pas à souhaiter qu’elle puisse demeurer un hochet, sous peine de devenir un instrument certain de désagrégation et de ruine. L’alternative est fatale. Aussi, moins la Douma aura-t-elle de prérogatives, moins son action risquera-t-elle de conduire à un désastre. Les Russes comprendront un jour quelle imprudence ils ont commise en obligeant le tsar à étendre ses concessions et à transformer dangereusement la première et inoffensive Douma en quelque chose de plus libre et de plus spontané, en une sorte de demi-Législative, transformable peut-être à son tour en Convention nationale. Le ciel préserve nos alliés d’une pareille extrémité ! Mais le mieux serait qu’ils s’en préservassent eux-mêmes en érigeant dès maintenant le seul régime qui leur convienne, le seul propre à leur procurer à la fois la paix, la force et la prospérité.

Il manque un nom pour le désigner : fédéral ou fédératif, ces mots évoquent l’union américaine ou le dualisme austro-hongrois et ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit d’assurer aux peuples qui composent l’empire les institutions susceptibles de faciliter leur développement normal et traditionnel dans des conditions conformes à leur génie particulier. Notre extrême ignorance de l’histoire orientale