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VICTOIRES DÉDAIGNÉES


18 octobre 1905.

Dans son dernier roman, les Deux Sœurs, Paul Bourget se plaît à attirer l’attention de ses lecteurs, à un moment donné, sur le contraste qu’offrent à son avis deux personnages en qui il incarne des générations opposées, « celle d’avant la guerre de 1870 et celle d’aujourd’hui sur qui pèsent, avec le souvenir du désastre non vengé, de plus récentes et si dures épreuves. » Je cite la phrase textuellement, l’ayant longtemps méditée. Qu’il y ait de profondes dissemblances entre les hommes du second Empire et ceux de la troisième République, nul n’y saurait contredire et encore moins s’en étonner. Le monde a beaucoup tourné de l’un à l’autre. Mais ce n’est pas là ce qu’a voulu dire Bourget. Il entend qu’une lourde et douloureuse humiliation nous étreint à laquelle il nous est impossible d’échapper. Il évoque le souvenir de retentissantes infortunes, la vision d’un horizon assombri et il n’aperçoit rien dans l’intervalle qui soit de nature à nous apporter ni consolation ni espérance. Or, dans l’intervalle, il a tenu simplement ceci : la conquête d’un empire d’environ cinq millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire presque dix fois la superficie de la France, peuplé de plus de trente-cinq millions d’habitants et représentant un mouvement commercial annuel de trois cent cinquante millions de francs. Faites le compte de ce qu’a coûté en hommes et en monnaie cette œuvre fabuleuse : vous n’approcherez point des chiffres