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la récompense

rivaux. Du sein même de la nation montaient d’éloquentes protestations et de troublants anathèmes. Le gouvernement qui avait déchaîné l’orage ne s’imposait à l’opinion que par l’audace d’un de ses représentants ; l’ensemble ne brillait point d’un prestige exceptionnel et inspirait une confiance très mitigée. La grandeur morale indéniable du peuple boer et le souvenir du pitoyable attentat commis par Jameson et ses compagnons contribuaient à aggraver l’incertitude des consciences. Fallait-il donc écouter les dénonciateurs ? Des motifs inavouables, des calculs malhonnêtes se dissimulaient-ils sous le couvert d’une nécessité patriotique ? En tout cas l’incurie se révélait manifeste. On n’avait su ni mesurer l’ampleur de l’effort nécessaire ni vérifier la présence des ressources suffisantes. Les résultats n’accusaient pas seulement la force imprévue de l’ennemi mais la médiocre préparation de l’armée anglaise, beaucoup d’abus, d’ignorance et d’à peu près.

Rien ne fléchit pourtant. L’étranger n’eut pas même la satisfaction d’assister au conflit héroïque qui faisait rage au fond des cœurs ; cela se passait à huis clos dans l’âme du citoyen ; son visage conservait un masque de superbe impassibilité et la barre de l’entêtement s’accentuait à son front.

La récompense est venue. Le mot peut déplaire à ceux qui confondent naïvement le geste de Dieu avec celui de l’homme, la morale absolue de l’au-delà avec celle, imparfaite, d’ici-bas. Il faut pourtant qu’entre ces deux gestes, entre ces deux morales, nous nous abstenions de chercher une similitude improbable ; nulle spéculation ne réussira d’ailleurs à détruire le mystère de la muraille qui les sépare. Nous continuerons d’ignorer de quelle façon la justice divine apprécie l’acte collectif d’un peuple qui, engagé dans une aventure plus ou moins respectable et poursuivant la satisfaction d’ambitions plus ou moins légitimes, s’obstine dans son effort, se raidit afin d’assurer le triomphe final de ses armes. Mais nous savons que selon les lois humaines cet acte-là est récompensé, que non seulement il