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la récompense

sa vie excite l’étonnement et l’envie. Ce pays fortuné, c’est l’Angleterre.

Étrange renversement du sablier. Le siècle n’a encore que cinq ans et combien différent fut l’état de choses qu’éclaira son aurore ! En ce temps-là, c’est le continent qui jouissait des délices d’une paix dorée. La France se mirait, joyeuse, dans les splendeurs de son Exposition universelle. Un échange d’aménités imprévues rapprochait d’elle l’Allemagne prospère et calme. À Vienne et à Stockholm on s’illusionnait encore sur la portée de sentiments séparatistes tendant à transformer en frontière hostile une barrière fraternelle ; à tout le moins on se flattait d’y trouver des remèdes effectifs. Rome saluait les prémices d’un règne sympathique et Madrid, surprise de la résistance dont le régime monarchique venait de faire preuve au travers d’épreuves si terribles, voyait s’achever dans un repos réparateur une longue et noble régence. Certes un cauchemar d’Extrême-Orient pesait sur les nuits d’Europe ; mais de savoir — et pour la première fois — les troupes de toutes les nations unies dans un effort commun pour la défense de la civilisation occidentale rassurait les esprits et affaiblissait la portée de ce péril jaune qu’on croyait d’ailleurs dominé par le poids écrasant du colosse moscovite. L’Angleterre seule vivait alors dans le deuil et dans l’émoi. Victoria, la souveraine inamovible dont pendant tant d’années le nom respecté avait été pour ses sujets comme un vivant symbole de conservatisme et de durée, — Victoria s’acheminait vers une tombe cruelle tandis que, dans les plaines chauves de l’Afrique du Sud, une bataille effrayante se prolongeait, paraissant fermer toute autre issue que la retraite. Or, la retraite, ne serait-ce pas un signal de débâcle pour cet empire britannique fait de terres dispersées, de populations indépendantes jointes entre elles par le lien solide mais unique de l’orgueil de race ?

Heure tragique pour l’âme anglaise ! De tous côtés se levait la réprobation. Le blâme d’amis attristés s’ajoutait à l’âpre condamnation prononcée par les adversaires et les