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l’afrique française

paraissait impossible qu’on pût réussir à en faire une colonie prospère. Effectivement, ce ne fut pas une colonie qui se forma par la suite, ce fut une nation ; — nation très française de cœur et dont les générations présentes n’ont à redouter aucune velléité séparatiste, mais nation distincte et nettement africaine d’allures, rappelant à bien des égards celle qu’avait fondée en ces mêmes lieux, voici des siècles, la robuste initiative de la Rome antique, — nation rapidement bâtie et déjà solide, énergique, persévérante, possédant les deux plus grands leviers de l’activité moderne : l’espace et la confiance. En vain, sous ses pas, des gouvernements malhabiles avaient préparé d’inconscientes embûches et dressé de fâcheux obstacles ; elle a su tourner les uns et franchir les autres. Quant aux périls ethniques dont on s’afflige pour elle, terribles de loin, quiconque les étudie de près les voit s’atténuer. C’est que non seulement l’Afrique française a pris conscience de sa force juvénile et de son avenir certain, mais qu’elle manifeste encore une capacité d’assimilation analogue à celle qu’ont exercée les États-Unis et susceptible de lui constituer, à son tour, une unité prompte et résistante. À peine a-t-on remis entre ses mains le mécanisme essentiel du self-government qu’elle s’en sert avec dextérité pour accélérer les transformations nécessaires ; à peine lui a-t-on ouvert les horizons désirés que ses ambitions s’y installent d’une façon prudente mais résolue.

Comment veut-on que le poids d’un pareil voisinage ne pèse pas dans la balance marocaine ? Pour augurer de ce qui interviendra ultérieurement, il suffit d’examiner l’état actuel des frontières. Là se tiennent des tribus que M. Schiemann a malheureusement négligé de visiter avant d’écrire son extraordinaire article de la Kreuz Zeitung. Il eût appris quel médiocre souci elles ont de ce qui se passe à Fez, mais combien vivement elles s’intéressent à ce qui se passe à Alger. Elles souhaitent, ces tribus, la domination non pas de la France qu’elles ignorent, mais de l’Afrique française dont elles constatent l’état de plus en plus tranquille