Page:Coubertin - Pages d’histoire contemporaine.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
un évangile germanique

modifia le cours de ses aspirations au point de les rendre contradictoires avec la mission défensive et persuasive qu’elle s’était attribuée en prenant les armes. Et si l’on compare les ambitions transatlantiques de 1776 avec celles de 1800 ou, plus récemment, les horizons de 1890 avec ceux de 1900, on éprouve immédiatement que des moissons de lauriers ont grandi là-bas dans les intervalles de ces dates.

Le danger de la généralisation, c’est qu’elle peut engendrer toutes sortes d’erreurs et conduire à de véritables catastrophes ; nous savons à quoi nous en tenir sur ce point. Levier superbe et terrible, elle remue le monde parfois pour le bien et souvent pour le mal de l’humanité. Il est donc plein d’intérêt d’observer les premiers gestes d’un grand peuple qui s’essaye à manier un instrument si puissant.

L’inhabileté qu’y témoignent les Allemands ne laisse pas de paraître inquiétante, et plus encore l’incertitude de leurs désirs. Que veulent-ils ? Vers quoi tendent-ils ? Que prétendent-ils rénover ? la religion ou la politique, la morale ou la société, les formes du culte collectif ou les arcanes de la conscience individuelle ? Leur prophète lui-même n’en dit rien. Après avoir touché à tout et promis des merveilles, il aboutit à… l’art musical. Son évangile finit en une harmonie grandiloquente. Aux dernières pages du livre, il se révèle de la sorte comme un échappé des revivals yankees dont Bayreuth aurait exaspéré les nerfs. Que n’évoque-t-il au moins, ce wagnérien passionné, la figure de Siegfried, du héros qui ayant réussi à se forger une épée invincible, à terrasser un monstre surnaturel et à capter l’amour d’une Valkyrie, n’en retomba pas moins sur la triste terre et y périt misérablement ? — utile destin à méditer par ceux dont le regard tend à être, à la fois, trop hardi et trop vague.