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un évangile germanique

l’univers entier le germanisme comme la formule de l’ultime perfection et du suprême bonheur. Mais personne, certes, n’eût imaginé que cette démonstration dût emprunter un autre appareil que l’appareil scientifique. L’évangile nouveau serait, à n’en pas douter, un monument aux assises certaines, aux contours rigides, à la silhouette inexorable, avec d’impeccables raisonnements pour contreforts et de solides déductions pour piliers.

Tel n’est pas précisément le signalement qui conviendrait à l’œuvre de M. H. St. Chamberlain : toute « d’intuition souveraine », comme l’a écrit M. Ernest Seillière dans une de ses intéressantes études de la Revue des Deux Mondes, elle introduit dans le grave sanctuaire des analyses tudesques les éléments de la plus fantaisiste des synthèses. À vrai dire, les prophètes antérieurs avaient bien franchi quelques étapes dans cette voie, mais ils avaient marqué par ailleurs un respect auguste de ces traditions scientifiques dont leur successeur paraît faire si bon marché. Il n’est guère de science avec laquelle M. Chamberlain ne prenne les libertés les plus complètes et les plus inattendues. Qu’il établisse un bizarre parallèle entre Ignace de Loyola et Napoléon, ces deux « capitaines du chaos », ou qu’il relève dans les physionomies de Raphaël et de Dante les signes manifestes d’un gothisme indéniable ; qu’il considère le monothéisme du peuple juif comme un cran d’arrêt, voire comme un recul dans le développement moral de l’humanité, ou qu’il s’extasie sur l’intolérance, la rudesse et les belliqueux élans des enseignements du Christ, lequel, paraît-il, ne recommandait l’humilité à ses disciples que dans le but de durcir leur vouloir, — tout ce qui jaillit du cerveau de M. Chamberlain porte la marque d’une imagination séduisante mais déréglée, suggestive mais déraisonnable.

Ce n’est pas que plusieurs de ses assertions ne soient éminemment acceptables par nous autres. Quand il déclare que l’expression suprême de la race, c’est le « pli de la pensée » et que ce pli de la pensée se traduit par la Welt-