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UN ÉVANGILE GERMANIQUE


17 avril 1905.

Si l’on voulait une preuve de la profonde évolution qui est en train de s’accomplir dans la mentalité germanique, on n’en saurait trouver de plus convaincante que l’accueil fait par l’opinion publique allemande à l’ouvrage de M. H. St. Chamberlain, Die grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts. Voilà un livre qui n’eût pas trouvé dix lecteurs il y a trente et même vingt ans, et qui compte aujourd’hui des milliers d’admirateurs. Le plus étrange est qu’il ne s’adresse guère qu’à des scientifiques. Or, il parle le langage et surtout il procède par les méthodes les plus antiscientifiques qui se puissent employer : formules vagues, affirmations péremptoires, comparaisons imprécises, principes a priori, tout cela drapé dans le luxueux manteau d’une poésie surabondante et magnifique.

L’Allemagne, de tout temps, fut sensible à la poésie. Elle l’aima douce et sentimentale aussi bien qu’épique et nuageuse. Mais le domaine qu’elle lui réservait demeurait entièrement isolé des ateliers où s’élaborait la prépondérance scientifique dont elle était si fière. Ce furent là son originalité et la source de son prestige et de sa force. Il en sortit une nationalité vigoureusement trempée par le contact du fait et de la réalité, en même temps qu’ornée d’une grâce suffisante. Le Germain s’estima dès lors un homme complet et, lorsque le succès eut établi sa valeur aux yeux de tous, on put s’attendre à le voir proposer à