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la triple bataille de bohême

La femme tchèque annexe à sa race le Germain qu’elle épouse ; les nombreux enfants qu’elle met au monde deviennent à leur tour les instruments d’une victoire identique ; ainsi la restauration s’accomplit. Les vieux noms nationaux chassent le vocabulaire teuton ; les mœurs, les habitudes, les idées, tout renaît au grand passé disparu. On dirait une Atlandide que le mystère de quelque éruption sous-marine ferait émerger peu à peu des flots qui jadis l’engloutirent ; et, dans ces rues de Prague où s’affirme l’étrange odeur slave, il advient que les marchands allemands, par crainte de perdre leur clientèle, usurpent des noms tchèques et en parent leurs devantures tandis qu’aux frontières, à chaque recensement, l’ethnographie officielle enregistre maussadement la poussée persévérante devant laquelle recule l’ennemi héréditaire.

Telle est la triple bataille de Bohême : deux défaites malheureuses, une victoire assurée. Cette victoire pourtant ne sera jamais aussi absolue que l’exigerait un patriotisme intransigeant. Losange inscrit au centre d’un colossal empire germanique dont l’unité s’achèvera tôt ou tard, la Bohême ne peut vivre sans l’Allemagne, ni surtout contre elle. Il serait temps que, de part et d’autre, on se prît à chercher les bases du compromis futur dont dépendra le repos de l’Europe centrale.

Les vrais amis des Tchèques ne sont pas ceux qui les poussent aux résolutions extrêmes et se plaisent à surexciter en eux un redoutable panslavisme mais bien ceux qui leur rappellent qu’avant de servir les desseins du monde slave, ils ont non seulement le droit mais le devoir de songer à leur patrie restreinte ; par là ils s’assureront des sympathies précieuses et, le cas échéant, le bénéfice d’une intervention utile ; par là ils rendront possible l’établissement de la neutralité tutélaire qui leur apportera la meilleure garantie de leur indépendance. La Bohême est quelque chose d’unique et de sacré ; c’est un des musées de l’humanité : elles doit être placée sous la sauvegarde des nations.