Page:Coubertin - Pages d’histoire contemporaine.djvu/204

Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
la triple bataille de bohême

auriez pu fructueusement évoquer en ses contours puissants l’histoire de l’impérissable Bohême.

Il n’en est pas de plus émouvante, de plus grandiose, de plus propre à suggérer de fortes pensées et de salutaires réflexions. Comment l’unité d’une race se crée, se maintient et se désagrège, — comment elle se refait, tantôt par l’héroïque élan des guerres extérieures, tantôt par la fécondité douloureuse des luttes intestines et tantôt par le silencieux et méritoire effort de l’existence quotidenne, — quelles lointaines conséquences peuvent exercer sur un pays l’admiration systématique pour une culture étrangère et l’encouragement donné à une immigration dont l’avantage immédiat dissimule aux regards des contemporains le danger futur, — les minces résultats qu’obtient le plus énorme labeur s’il s’enferme en un idéalisme exclusif et néglige de s’appuyer en même temps sur quelque intérêt public d’ordre pratique et tangible, — par-dessus tout, la loi d’airain qui fait peser sur la politique d’une génération le poids des erreurs commises par la génération précédente : voilà ce que racontent, en traits inoubliables, les silhouettes robustes et les vicissitudes compliquées des récits tchèques.

Combien furent imprudents ces premiers souverains de la dynastie Prémysl lorsque, non contents de se faire autoriser par l’empereur à ceindre une couronne qu’ils étaient libres, après tout, de placer ou non sur leur tête, ils entreprirent encore la germanisation de leur royaume ! Cette faute initiale a retenti jusqu’à nos jours à travers l’histoire de Bohême ; c’est à cause d’elle que des flots de sang ont coulé, que des milliers d’incendies se sont allumés, que des crimes affreux ont été commis. Invité à servir d’architecte national, pourquoi le germanisme se fût-il retiré bénévolement, son œuvre faite ? Il voulut rester et, dès lors, commença le duel sans merci qui dure encore.

Ce duel a eu trois phases : celle des armes, celle de la pensée et celle du nombre.

Les armes firent une Bohême vaste et fragile ; ses frontières touchèrent aux portes de Nuremberg et de Ratis-