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chimères

on convie les peuples à se repaître de sa vue. La grande heure a sonné. « Tous les hommes sont frèèèères… » chantent sur les boulevards des camelots faméliques. La Fédération universelle se prépare ; l’amour va remplacer la haine ; les frontières s’effriteront, l’abondance régnera ; l’existence deviendra une allée sablée dans un jardin délicieux.

La Fraternité n’a pas vécu. Hélas ! pour s’aimer, il faut être deux : soi et puis les autres. Les autres n’ont pas voulu. Mais la France a maintenant autre chose en tête. Le vieil équilibre de l’Europe ne valait rien, — il faut le refaire. C’est à quoi elle se dépense, groupant les races sans s’apercevoir qu’elle les incite à la démembrer au nom du principe qu’elle-même préconise. Ah ! le douloureux réveil dans l’aube glacée d’un jour d’hiver devant le sinistre bûcher où se consument les débris des chimères successives ! Le territoire est amputé ; le vent disperse les feuillets de la Loi. Qui oserait parler de fraternité quand aux torches prussiennes par lesquelles flambe Saint-Cloud répond le pétrole français qui coule sur les Tuileries ? Et cet équilibre auquel on a tant sacrifié, qu’en reste-t-il après un désastre qui fait une France menue prise entre ses voisins grossis et glorieux ?

Serons-nous sages enfin ? Si les chimères ne renaissent pas, semblables aux phénix, de leurs propres cendres, notre fortune peut se rétablir et ce n’aura pas été en vain que naguère d’augustes victimes auront suivi le chemin de croix de Varennes, ouvrant par leurs souffrances la porte aux cruelles mais nécessaires expériences.

L’on fut sage, très sage. Le monde attentif s’étonna. Les pronostics les plus optimistes furent dépassés. Une à une les méfiances tombèrent. Des alliances inespérées se nouèrent ; une stabilité imprévue naquit. Courbet rehaussa Dupleix et la prise de Tananarive pallia la chute de Québec.