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CHIMÈRES


22 septembre 1904.

Je ne crois pas qu’on ait rien écrit sur les divers épisodes de la Révolution de plus vivant, de plus poignant et de plus suggestif que le Retour de Varennes de M. Lenôtre. À travers les sinistres détails du récit apparaît mieux qu’en bien des études raisonnées l’âme si difficile à saisir et pourtant si nécessaire à connaître de cette France de Louis XVI, pleine de contradictions et d’inconséquences, généreuse et vindicative, audacieuse et timide, avide de prospérité et fanatique de destruction. Derrière les mauvais drôles qui se pressent en masse sur le passage du lugubre cortège et auxquels le désordre de l’heure présente accorde toute licence pour brailler et insulter, M. Lenôtre a su montrer la simple foule se pâmant d’aise à l’apparition du moindre porteur de quelque ordre émané de l’Assemblée nationale. C’est elle la souveraine, l’auguste, la sacro-sainte et les prisonniers qu’on lui ramène n’étaient que les indignes usurpateurs de son pouvoir. « Vive la nation ! » s’égosille-t-on à crier sur le seuil des auberges, aux carrefours des routes. « Vive la nation ! » clament les villageois. « Vive la nation ! » hurlent les citadins. Dans ces trois mots indéfiniment répétés s’enroule l’énorme chimère qui va amonceler des ruines colossales et déchaîner vingt-cinq années d’aventures épiques et de bagarres sanglantes. Car vive la nation ! ce n’est pas vive la France ! La France est un fait ; ce qu’ils acclament n’est qu’une idée, la fiction