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DONNER SANS RETENIR


10 juin 1904.

La malencontreuse et lourde pièce d’éloquence par laquelle, le jour de l’interpellation sur la Note pontificale, le président du Conseil a tenu à accentuer et à déformer les déclarations si sages et si mesurées du ministre des affaires étrangères rappelle la manière de M. Senard.

Avez-vous entendu parler de M. Senard ? C’était probablement un très brave homme mais ce fut un bien fâcheux diplomate. Jules Favre l’envoya à Rome, au lendemain de l’entrée des Italiens, pour y représenter notre République naissante. Sans traditions comme sans relations, ignorant de l’Europe et étranger aux subtilités italiennes, M. Senard fit dans la carrière des débuts sensationnels. Il courut de la gare au palais et remit ses lettres de créance à Victor-Emmanuel en l’embrassant de tout son cœur. N’ayant pu, dans l’émotion d’une pareille entrevue haranguer le souverain à sa convenance, il lui adressa le lendemain une missive solennelle qui fut aussitôt rendue publique ; c’est bien le plus étrange factum qu’ait jamais rédigé la plume d’un ambassadeur. Le nôtre s’y proclamait empressé d’« oublier ses patriotiques douleurs » pour mieux célébrer « la délivrance de Rome ». Puis, avec une stupéfiante naïveté, il ajoutait : « Le jour où la République française a remplacé par la droiture et la loyauté une politique tortueuse qui ne savait jamais donner sans retenir, la convention de Septembre a virtuellement cessé d’exister. » La joie dut être