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regrets et espérances

leurs alliés en face de réalités farouches propres à engendrer non point le découragement ou la lassitude, mais la réflexion et la sagesse. On a jugé un moment en Europe qu’il s’engageait là-bas une de ces luttes décisives et fatales auxquelles les destins ironiques condamnent parfois les générations les plus éprises de paix ; mais déjà l’aspect du conflit s’atténue et les difficultés par contre grandissent et se multiplient. L’Angleterre éprouve des impressions analogues dans son agression contre le Thibet. Et pendant que les soldats au cœur simple, éveillés par les fanfares, sentent monter en eux l’enthousiasme patriotique, les gouvernants calculateurs se repentent peut-être de n’avoir pas assez négocié. L’Angleterre et la Russie, dans tous les cas, s’apprécient mieux et s’estiment plus aujourd’hui qu’il y a un an.

Ce serait une belle œuvre que d’établir en Asie une paix durable basée sur leur accord. Par là, l’un des foyers de guerre de l’ellipse moderne se trouverait supprimé. Resterait l’autre, plus dangereux et plus proche de nous : la question d’Autriche. Mais qui sait ? peut-être devrions-nous enhardis par le succès, l’aborder à son tour dans le même esprit et lui chercher une solution qui satisfît de légitimes aspirations sans compromettre un équilibre nécessaire. En ce faisant, la France aurait mieux mérité de l’humanité qu’en remplissant ses archives de conventions arbitrales vagues et imprécises. Seulement, pour ces besognes-là il faut une France d’épée redoutable et non point une France qui se répande en déclamations creuses.

Non ! l’alliance anglo-franco-russe n’est pas au-dessus des forces humaines. Elle demeure la combinaison la plus puissante et la plus féconde qui se puisse réaliser. Et sans doute, sous le rocher tragique des monts Matoppo, l’ombre de Cecil Rhodes y pense encore.