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grains de riz et rayons de gloire

plus au pouvoir d’aucun despote, si robuste que soit son trône, si incontestée que soit son autorité, de lancer impunément et contre son gré le peuple dont il dirige les destins dans la voie des entreprises belliqueuses. Le sentiment de cette heureuse impuissance est pour beaucoup dans la quiétude que l’avenir inspire aux amis de la paix. Qu’on permette seulement aux institutions démocratiques de s’affermir, disent-ils, qu’on laisse à l’esprit démocratique le temps de s’infiltrer partout — et la guerre sera morte. Se pourrait-il que les nations, consciences collectives au sein desquelles la vérité réussit toujours à faire entendre sa voix, consentissent à déchaîner la sanglante furie, à brandir la torche incendiaire ? Ce que le souverain absolu était tenté de faire d’un simple geste, un parlement nombreux osera-t-il en assumer par son vote la redoutable responsabilité ?

Oui, il l’osera si le riz fait défaut. Mais qu’est-ce que le riz ? Est-ce l’indispensable ou le superflu ? Cela représente-t-il le confort ou simplement de quoi vivre ? Voici les Japonais qui cherchent à prendre la Corée dont ils feront à la fois une annexe et un grenier. Le dernier d’entre eux est prêt à se battre pour atteindre ce résultat parce qu’il se sent menacé, s’il ne l’atteint pas, d’une misère certaine. Mais quand il aura réalisé ce premier avantage et que s’ouvrira devant lui la perspective d’une nouvelle guerre par laquelle il croira possible de s’emparer de la direction commerciale du monde jaune et de se procurer ainsi d’immenses bénéfices, sur quoi comptez-vous pour l’arrêter ? Sur l’esprit démocratique, sur les scrupules humanitaires… Pensez-vous que les hommes ne se battent que pour le pain sec et que, du jour où tous en auront, ils ne se battront point pour le beurre à mettre dessus ? Étrange illusion ! — et prudents sont, parmi les pacifistes, ceux qui se préoccupent avant tout de réorganiser la société. C’est par là que le socialisme s’affirme comme le préambule obligatoire du pacifisme. Lui seul pourrait peut-être établir avec quelque chance de succès le règne de la paix, à condition de créer d’abord une richesse supérieure aux besoins actuels. Mal-