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LE SENS CRITIQUE


10 mars 1904.

En trois jours de temps, nous avons appris que les séminaristes de Dijon attribuaient à leur évêque la qualité de franc-maçon et que l’empereur de Russie avait écrit au président de la République pour lui demander la démission de M. Delcassé ! Il a fallu que le prélat incriminé se défendît, en présence de son clergé, de la bizarre accusation dont il était l’objet, et un communiqué d’allures officielles a été jugé nécessaire par le gouvernement russe pour couper court à la nouvelle d’une correspondance incorrecte entre les deux chefs d’État. De quel degré d’enfantine crédulité est donc capable cet esprit français si orgueilleux de ses lumières, si confiant en la logique imperturbable de ses tendances et de ses méthodes ? Pas n’est besoin de connaître les vertus privées de Mgr Le Nordez ni de savoir de quel crédit personnel jouit notre ministre des affaires étrangères auprès de Nicolas II pour apprécier l’inanité d’informations tendant à représenter le premier comme inféodé aux pires ennemis de son Église et le second comme occupé à saper l’alliance dont il est le plus fidèle partisan. N’est-ce pas que cela jette un jour un peu singulier sur les facultés critiques de notre race ?

Paraissent pourtant une œuvre d’art ou un monument littéraire de belle envergure, et cette même opinion, capable d’accepter et de savourer les pires invraisemblances politiques, va faire preuve d’un jugement pondéré et rassis, d’une rapidité à saisir les nuances et à dégager les lignes