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le cercle de fer

Il y avait bien de quoi, en vérité ! L’Allemagne nouvelle était prisonnière dans ses épaisses murailles et condamnée à y mourir de pléthore. Des souvenirs de haine lui interdisaient de cultiver, au Nord et à l’Ouest, de fécondes amitiés. Entre elle et ses voisins de l’Est, le germe était posé d’un conflit redoutable. Des alliances sans portée l’unissaient aux inévitables ennemis de son avenir : l’Autriche qui continuait à détenir une portion du patrimoine germanique et l’Italie dont les ambitions viendraient croiser les siennes à Trieste. Les routes de l’Orient fermées, point de colonies, point de ports, point de vaisseaux mais de vastes propriétés et de gros revenus : réjouissante situation pour un rentier, triste opulence pour une nation !

Bismarck avait si bien modelé l’esprit public que son idéal était devenu celui de la race. Lorsque Guillaume ii, pour disjoindre le cercle de fer, eut écarté l’homme qui l’avait rivé, ses sujets crurent que leur jeune empereur secouait une tutelle gênante ; ils ne soupçonnèrent point qu’à travers l’ouvrier, il osât s’attaquer à l’œuvre. À l’heure actuelle, nombre d’entre eux n’ont pas encore compris. On ne pouvait, certes, la détruire, cette œuvre, sans ébranler l’édifice nouveau posé sur les fondations antiques ; mais ne pouvait-on la corriger ? Ce sera l’éternel honneur de Guillaume ii de l’avoir tenté et l’histoire qui dira les vaillants efforts du chef, jugera avec quelque sévérité les entraves que son peuple y apporta. On dit parfois : les nations ont le gouvernement qu’elles méritent. On pourrait soutenir, d’autre part, que les souverains n’ont pas toujours les sujets dont ils seraient dignes. Chaque fois que, sur mer, en Orient, à Rome, à Londres, Guillaume ii a voulu agir en prince qui prévoit et assure l’avenir, un vent d’inepte opposition a soufflé autour de son trône : c’est là ce qui l’a empêché de pousser, jusqu’à la parole nécessaire, son désir d’entente avec la France ; c’est là ce qui, plus