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nos historiens

temporains ont su tracer avec exactitude la courbe intellectuelle de leur époque !

Contrôle et évocation, ni Thiers, ni Lamartine, ni Michelet, ni Henri Martin n’ont su réaliser ce difficile mariage. Leur contrôle demeura toujours embryonnaire ; ils choisirent leurs sources d’information au hasard d’une inspiration fantaisiste et suppléèrent à la pauvreté de la documentation par la profondeur de la réflexion. Il advint que ces grands esprits s’élevèrent souvent jusqu’à la vérité par le seul essor de leur génie philosophique mais il leur advint aussi d’errer lamentablement dans de véritables labyrinthes d’erreurs ; nul fil conducteur ne les aidait à en sortir. Au delà de nos frontières, pendant ce temps, les historiens, devenus myopes, cherchaient à surprendre le secret des grandes évolutions nationales en étudiant le travail quotidien de la fourmilière humaine.

La rigoureuse précision de leur méthode, ce fut Taine qui nous la fit connaître et nous la conseilla ; il prêcha d’exemple. Son zèle à observer, sa patience à comparer, sa persévérance à classer l’égalèrent aux plus rudes piocheurs d’outre-Rhin. Et ceux-ci, flattés d’avoir un tel élève, se crurent devenus les précepteurs indispensables du monde latin. Mais le génie français, qu’une semblable discipline courbait sous un joug salutaire, ne pouvait se contenter de recevoir docilement l’empreinte étrangère. C’est une des beautés des Origines de la France contemporaine que d’y sentir, à travers la rigidité du cadre scientifique, palpiter l’idée générale, comme de grandes ailes d’oiseau à travers les barreaux d’une cage. En vain Taine se méfiait-il de ses propres envolées et resserrait-il le grillage de sa propre geôle, — l’oiseau vivait. Il fallut bien, à la fin, le laisser sortir. La question était de savoir s’il rentrerait, une fois sorti, — et il rentra.

Qu’on excuse l’imprévu de cette comparaison ornithologique ; elle exprime bien, à mon sens, ce que sont nos his-