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la question nègre

trois Yankees ne bougeaient point et n’avaient pas même l’air d’entendre. Alors se passa une scène ignoble dont je garderai toute ma vie le souvenir : le conducteur et le mécanicien se jetèrent sur la malheureuse, l’arrachèrent de son banc et la traînèrent d’un bout à l’autre du car jusqu’à la plate-forme du car suivant où ils la laissèrent ; quand ils passèrent près de moi, je remarquai que quelques mèches crépues sur la nuque attestaient seules qu’un peu de sang nègre coulait dans les veines de cette femme riche et distinguée. Je fis appel aux Yankees, leur demandant comment ils pouvaient tolérer de pareilles ignominies et je reprochai aux employés leur conduite : tous me regardaient comme si j’avais parlé hébreu et l’un d’eux, haussant les épaules, dit avec dédain :

— Vous autres, gens d’Europe, vous ne comprenez rien à la « question nègre », negro problem.

Non, sous cette forme, en effet, nous n’y comprenons rien ou plutôt nous ne voulons rien y comprendre, car elle est inadmissible. Notez que le sang blanc qui fait les quarterons n’est pas, en général, celui des aventuriers ou des outlaws, mais celui de la vieille aristocratie sudiste. Tout le monde avoue que la plupart des planteurs d’antan se choisissaient des maîtresses parmi leurs esclaves et procréaient volontiers des petits mulâtres dont le travail devait ensuite profiter à la plantation. Cela, par parenthèse, jette un jour singulier sur la prétendue répugnance qu’éprouve la race blanche à s’unir à la race noire. Cette répugnance est née en Amérique du moment où l’esclavage a pris fin ; tant qu’il a existé, la femme noire a su exercer sa séduction sur ses maîtres, et la chronique raconte que le foyer irrégulier qui se fondait ainsi, à l’ombre de l’autre, n’était pas, d’ordinaire, le moins apprécié du chef de famille. De sorte que non seulement ce sont les Américains qui, en important chez eux pour se procurer une main-d’œuvre à