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roosevelt et tolstoï

eût parlé davantage et moins écrit ; l’œuvre eût été plus violente et moins artiste ; mais aucune divergence essentielle n’aurait séparé la doctrine de la prairie de la doctrine de la steppe.

Ce n’est donc pas une opposition de race, comme on serait tenté de le croire au premier abord, qui a fait surgir en face du tolstoïsme le rooseveltisme. L’homme qu’on ignorait presque aux États-Unis il y a dix ans, et sur lequel aujourd’hui l’univers tient les yeux fixés, n’est ni un fougueux impérialiste, ni un effréné faiseur d’affaires. Les Européens en sont encore à classer le citoyen de la République américaine dans une de ces deux catégories. Guerre ou commerce, on n’admet pas qu’il puisse être épris d’un autre idéal. Si ce n’est pas la gloire de Manille et de Santiago qui lui monte au cerveau, c’est alors la passion du tout-puissant dollar qui l’affole ; point de milieu ! Conception qui n’est pas seulement erronée mais absurde.

Théodore Roosevelt est un lettré ; sa vie de rough-rider a été aussi pleine d’efforts cérébraux que d’efforts musculaires. Sa philosophie s’est formée, par une observation sagace et une forte réflexion, au contact successif de la civilisation compliquée et de la rudesse primitive. (Il est à remarquer que Tolstoï, de son côté, a senti le besoin de se rapprocher des humbles et des simples et de toucher à l’outil moins pour scruter le travailleur que pour se perfectionner soi-même. Le philosophe qui se tient sur les sommets de l’idée et n’en descend point ne peut plus exercer, de nos jours, aucune influence active sur la société.) À travers les discours et les écrits de Roosevelt, les événements contemporains les plus lointains montrent leur silhouette, tracée d’une main rapide mais ferme. On devine qu’il n’y en a point dont il n’ait recueilli les leçons et pesé les conséquences générales. Aussi sa parole est-elle vraiment une parole mondiale convenant à tous et propre à être méditée par certaines nations étrangères plus efficacement encore que par le peuple américain.

Or, parmi les nombreux et virils conseils que lui sug-