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ROOSEVELT ET TOLSTOÏ


5 septembre 1903.

La grande force du tolstoïsme, c’est de s’être manifesté à une époque où de nombreux croyants s’affligeaient d’avoir été conduits à délaisser la morale chrétienne et où les indifférents, de leur côté, éprouvaient la nécessité de combler le vide creusé en eux-mêmes par la laïcisation de leurs consciences. Les ouvrages du grand écrivain devaient plaire aux uns comme aux autres. Les premiers y trouvaient de sérieux encouragements à rallier le vieil évangile de la charité ; les seconds se sentaient éloquemment incités à adhérer au nouvel évangile de la solidarité : charité et solidarité ne sont, après tout, que des formes variables d’un même sentiment, le dévouement à l’humanité par amour de Dieu ou du devoir. Ainsi appuyé sur des aspirations généreuses d’origines différentes mais de tendances parallèles, le tolstoïsme se présentait comme l’instrument probable d’une pacifiante unification, comme le canal d’une féconde coopération entre les hommes de bonne volonté. Il ne péchait d’ailleurs par aucune précision gênante. La pensée slave l’avait entouré de tout le charme dont elle est coutumière et avait dressé autour de lui de séduisants mirages.

La plus puissante originalité de son architecture, c’est qu’elle se réclamait de la bonté et non point de la justice. Les cités futures dont on nous montre les plans successifs ne sont, en général, que des palais de justice agrandis.