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où va l’europe ?

comme la plus vile et la plus rabaissée qui puisse être.

C’est pourquoi l’opération symbolique à laquelle se livrait Tarquin dans son jardin redevient d’actualité. Tarquin n’abattit point toutes les tiges fleuries pour les ramener au niveau des herbes à peine sorties du sol. Il se contenta de rogner celles qui dépassaient trop ouvertement leurs voisines. C’est là un geste délicat, puisqu’il comporte à la fois de la violence et de la mesure, c’est-à-dire le dualisme le plus difficile et le plus méritoire à réaliser pour l’homme. Il ne serait pas impossible d’y procéder pourtant. Dans son remarquable ouvrage posthume, Walther Ratheneau n’est pas loin de le conseiller à ses concitoyens. Ce milliardaire qui avait perdu la foi en la légitimité de ses milliards — et qui n’a pas été assassiné pour autre chose — eut la claire vision de son temps et le courage de s’en expliquer.


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le service ouvrier

La limitation légale des fortunes privées, seule manière d’en finir avec la lèpre ploutocratique qui ronge les assises des États européens, ne suffirait pas toutefois à assurer un avenir de paix sociale, car tout n’est point affaire de législation parmi les hommes, et la loi sans les mœurs ne vaut. Il faut encore avoir raison du préjugé millénaire qui place le travail manuel dans une situation constamment humiliée par rapport à l’intelligence et à la culture. Des dissertations n’y feront rien, car il est évident que ledit préjugé, qui s’explique par l’histoire, n’a plus, depuis longtemps, de raison d’être autre que l’intérêt matériel de ceux qui l’invoquent. Scientifiquement, il a perdu toute signification, l’hygiène savante ayant établi péremptoirement à la suite de l’hygiène empirique que les muscles et le cerveau, loin de s’opposer, s’équilibrent par l’exercice alternatif. Moralement, il n’en a jamais eu. Il était directement contraire à l’Évangile, mais il n’en est que plus instructif de constater comment le christianisme a dû s’en accoutumer et vivre avec lui sans oser le condamner par la suite, comme il l’avait fait au temps de la primitive Église. N’empêche que si l’on remonte le cours des âges, c’est à un chrétien, à l’un