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où va l’europe ?

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forces affaiblies ou diluées

De quelque côté qu’on se tourne, on voit que les forces sur lesquelles reposait la prépondérance de l’Europe ont subi une transformation profonde. Les unes se sont affaiblies sur place ; d’autres se sont dispersées et comme diluées à travers le monde. Prenons par exemple l’idée catholique, qui était assurément demeurée une des bases de l’Europe. L’incapacité du Saint-Siège à prononcer au cours de la guerre les condamnations les plus attendues, comme celle qu’eût dû provoquer de sa part la violation de la Belgique, — cette incapacité qui a surpris et ému même dans les milieux non catholiques, n’a-t-elle pas diminué la force d’attraction de l’Église romaine ? Nous le saurons plus tard, car ces conséquences-là ne deviennent visibles qu’après un certain temps. Mais admettons qu’il n’en soit rien. Les branches exotiques de cette Église et principalement la branche nord-américaine n’en sont pas moins désormais des filles majeures avec les tendances et le particularisme desquelles il faudra de plus en plus compter.

Prenons encore la forme monarchique. Elle dominait en Europe. Elle s’est révélée dangereuse ici, impuissante là. Nul ne peut nier que si Guillaume II et François-Joseph avaient été détrônés dix ans plus tôt, la guerre n’eût pas eu lieu, et l’on sait que si Georges V avait eu la liberté de faire à temps le geste désirable, il l’eût empêchée d’éclater. Le prestige royal n’est pas en cause, car si le départ bourgeois des vingt-deux princes allemands chassés de leurs palais en a totalement manqué, on peut répondre que la vaillance d’Albert Ier et la noblesse d’âme de Nicolas II suffisent à contre-balancer l’effet de cet événement : mais il est important de noter que les deux gouvernements les plus solides, l’un à conduire le conflit, et l’autre à le restreindre, ont été deux républiques : la France et la Suisse, et il faut rendre justice à la sagesse prudente de la seconde, malgré qu’elle ne puisse naturellement se comparer à la magnifique fermeté de la première.