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où va l’europe ?

effectifs seront réduits au regard de cette multitude immense — bien plus nombreuse qu’on ne le croyait encore il y a trente ans — qui occupe tout le centre de l’Afrique et déborde sur les pourtours : multitude à laquelle on ne donnait jadis qu’un nom : les nègres, et qu’on divise et subdivise aujourd’hui en une infinité de tribus comme pour se prémunir contre la possibilité d’une entente et d’une action communes de leur part.

Ces hommes ont été représentés à la guerre. Ils s’y sont admirablement comportés et y ont fait preuve de qualités insoupçonnées, sinon de ceux qui les connaissaient de longue date. Une poignée de combattants sans doute, par rapport à l’ensemble de la population noire. Mais l’Afrique est une terre étrange. Tous ceux qui en ont l’habitude savent avec quelle rapidité les nouvelles, les appréciations s’y transmettent : si bien qu’une opinion s’y forme beaucoup plus prompte et plus unifiée qu’on ne devrait s’y attendre.

Or d’un bout à l’autre de cet immense réservoir d’hommes, on est aujourd’hui en possession d’une « vue d’ensemble » de la guerre. Et cette vue se résume aussi en désillusions. Et elle aboutit aussi à formuler des revendications… Lesquelles ? Oh ! bien imprécises, bien générales ! Mais que, en si peu de temps, un mouvement panafricain ait pu se dessiner, que ce mouvement soit soutenu par de nombreux agitateurs locaux, que l’un d’eux ait osé faire entendre, à Chicago, des paroles menaçantes pour le cas où les blancs continueraient de traiter les noirs en serviteurs-nés de leurs entreprises ou de leurs ambitions, cela doit nous rendre attentifs…

Ainsi voilà où ils en sont aujourd’hui, les élèves du pauvre précepteur. Les uns s’encouragent à rester chez eux, dans leur maison qui est à leur avis la plus belle, la plus spacieuse et la plus confortable de l’univers. Ce sont les Américains. Les autres critiquent ouvertement les enseignements reçus et ils pensent avoir une autre morale, une autre conception de la vie, beaucoup plus nobles, beaucoup plus fécondes à substituer aux nôtres. Ce sont les Asiatiques. Enfin, les troisièmes, les Africains, menacent d’aller faire l’école buissonnière si on ne leur promet pas qu’ils seront désormais traités en égaux, en hommes libres, en citoyens du monde.