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tandis que le Père Didon, dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, soulevait l’enthousiasme d’une nombreuse assistance par une de ces harangues enflammées dont il avait le secret, que me parvint la carte d’un délégué retardataire, le Révérend de Courcy Laffan, headmaster du collège de Cheltenham et représentant de la Conférence des headmasters anglais. L’ayant salué et invité à prendre place aux premiers rangs, nos regards se croisèrent et se pénétrèrent. C’était un homme encore jeune, svelte, avec un visage d’une rare finesse. Dans tout son être se révélait un équilibre parfait de l’intelligence, de la force et de la sensibilité. Il venait de débarquer du bateau de Southampton. Lorsque le Père Didon eut fini, trop vite au gré de l’auditoire, la discussion s’ouvrit, mais personne ne se souciait de prendre la parole après lui. Alors, je songeai qu’un petit discours en anglais romprait la glace et tout en m’excusant de mon indiscrétion, je priai le headmaster de Cheltenham de dire quelques mots. Sans hâte, comme sans hésitation, aussi modeste que sûr de lui, M. Laffan se leva, et dans un français de la plus complète pureté, avec une mesure et un choix d’expression tout à fait inattendus, il exposa sa thèse sur l’emploi moral de la force sportive. Ses idées concordaient avec celles du Père Didon, mais la forme était si différente, d’une élégance sobre et raffinée à la fois que le contraste porta les auditeurs à un nouveau diapason d’enthousiasme et fit de cette séance une vraie concertation d’éloquence française. Pour moi, je ne doutais pas qu’un nouveau collaborateur et des plus précieux me fût tombé du ciel. Laffan, chez qui le celtisme fondamental hérité de ses ancêtres irlandais entretenait une certaine tendance mystique, m’a dit depuis que, dès ce premier jour, il se sentit « ap-