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mémoires olympiques

seil, j’écrivis à deux reprises à un ministre prussien, M. de Podbielski, qui m’était signalé comme grand manitou des sports, mais il ne vint jamais de réponse.

Cette introduction de l’Allemagne dans l’affaire risquait de me retirer l’adhésion des gyms français, donnée, du reste, sans le moindre enthousiasme. Le 15 mai 1894, M. Cuperus refusait celle de gyms belges en termes virulents : « Ma fédération, disait-il, a toujours cru et croit encore que la gymnastique et les sports sont choses contraires et elle a toujours combattu ces derniers comme incompatibles avec ses principes. » Là dessus, mon opinion était faite. J’estimais une telle doctrine absurde, mais qu’y pouvait-on ? L’Union des Sociétés françaises de Gymnastique avait adhéré. M. Sansbœuf m’avait toutefois avisé que ses délégués se retireraient si les Allemands paraissaient. Ceci, je le trouvais non seulement fâcheux, mais humiliant. Cette perpétuelle « protestation » à l’égard du vainqueur de 1870 m’exaspérait. En réalité, quoi de moins français, de moins chevaleresque, de moins « Fontenoy » que de montrer ainsi le poing rageusement, en restant assis ? Est-ce ainsi que nos pères comprenaient « l’intervalle des batailles » ? Je ne saurais dire combien, pendant mon adolescence, j’ai souffert de cette attitude qu’une conception fausse et mesquine du patriotisme imposait à ma génération. Bien qu’ayant grandi à l’ombre de Sedan, je ne me sentis jamais une âme de vaincu. Le réveil de 1878 m’éclaira et le magnifique tournant de 1889 me libéra en me rendant le concept des capacités nationales et la foi en un avenir différent du passé, mais non indigne de lui.