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Les Assises philosophiques de l’Olympisme moderne

l’effort pour l’amour de l’effort, de lutte courtoise et pourtant violente. Tel était l’esprit olympique de l’antiquité dans son principe pur ; on aperçoit aisément de quelle conséquence immense peut être l’extension de ce principe dès qu’il s’agit de compétitions internationales. On a pensé, voici quarante ans, que je me faisais des illusions en voulant restaurer l’action de ce principe aux Jeux olympiques modernes. Mais il devient évident que non seulement ce principe peut et doit exister dans la circonstance solennelle de la célébration olympique quadriennale mais que déjà il se manifeste dans des circonstances moins solennelles. De nation à nation son progrès fut lent mais ininterrompu. Il faut maintenant que son influence gagne les spectateurs eux-mêmes et cela aussi déjà s’est produit, par exemple à Paris lors du match de football du 17 mars dernier. On en doit venir à ce que dans de telles occasions — et bien plus encore aux Jeux olympiques — les applaudissements s’expriment uniquement en proportion de l’exploit accompli, et en dehors de toute préférence nationale. Tous sentiments nationaux exclusifs doivent alors faire trêve et pour ainsi parler « être mis en congé provisoire ».

L’idée de trêve, voilà également un élément essentiel de l’olympisme ; et elle est étroitement associée à l’idée de rythme. Les Jeux olympiques doivent être célébrés sur un rythme d’une rigueur astronomique parce qu’ils constituent la fête quadriennale du printemps humain, honorant l’avènement successif des générations humaines. C’est pourquoi ce rythme doit être maintenu rigoureusement. Aujourd’hui, comme dans l’antiquité d’ailleurs, une Olympiade pourra n’être pas célébrée si des circonstances imprévues viennent à s’y opposer absolument, mais l’ordre ni le chiffre n’en peuvent être changés.

Or le printemps humain, ce n’est pas l’enfant ni même l’éphèbe. De nos jours, nous commettons en beaucoup de pays sinon tous, une erreur très grave, celle de donner trop d’importance à l’enfance et de lui reconnaître une autonomie, de lui attribuer des privilèges exagérés et prématurés. On croit ainsi gagner du temps et accroître la période de production utilitaire. Cela est venu d’une fausse interprétation du Time is money, formule qui fut celle, non d’une race ou d’une forme de civilisation déterminée mais d’un peuple — le peuple américain — traversant alors une période de possibilités productrices exceptionnelle et transitoire.

Le printemps humain s’exprime dans le jeune adulte, celui qu’on peut comparer à une superbe machine dont tous les rouages sont achevés de monter et qui est prête à entrer en plein mouvement. Voilà celui en l’honneur de qui les Jeux olympiques doivent être célébrés et leur rythme, organisé et maintenu parce que c’est de lui que dépendent le proche avenir et l’enchaînement harmonieux du passé à l’avenir.

Comment mieux l’honorer qu’en proclamant autour de lui, à intervalles réguliers fixés à cet effet, la cessation temporaire des querelles, disputes et malentendus ? Les hommes ne sont pas des anges et je ne crois pas que l’humanité gagnerait à ce que la plupart d’entre eux le devinssent. Mais celui-là est l’homme vraiment fort dont la volonté se trouve assez puissante pour s’imposer à soi-même et imposer à la collectivité un arrêt dans la poursuite des intérêts ou des passions de domination et de possession, si légitimes soient elles. J’admettrais fort bien pour ma part de voir, en pleine guerre, les armées adverses interrompre un moment leurs combats pour célébrer des Jeux musculaires loyaux et courtois.

De ce que je viens d’exposer, on doit conclure que le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Faut-il alors exclure les sports d’équipes ? Ce n’est pas indispensable, si l’on accepte un autre élément essentiel de l’olympisme moderne comme il le fut de l’ancien olympisme : l’existence d’une Altis ou enceinte sacrée. Il y avait à Olympie bien des événements qui se passaient en dehors de l’Altis : toute une vie collective palpitait à l’entour sans toutefois avoir le privilège de se manifester à l’intérieur. L’Altis même était comme le sanctuaire réservé au seul athlète consacré, purifié, admis aux épreuves principales et devenu ainsi une sorte de prêtre,