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LA COURSE

Achille « aux pieds légers »…

Combien souvent sa silhouette a traversé nos horizons d’écoliers et comme nous avons envié, de nos pupitres maussades, la libre envolée de sa course, la suivant du regard dans la brume ensoleillée des matins antiques, sur l’herbe primitive, le long des futaies intactes !

Or une arrivée de courses à pied ne réalise guère la vision évoquée par le vieil Homère et les plus rapides de nos champions modernes répondent mal à l’image que nous nous faisons du héros. Ils n’ont pas « les pieds légers ». C’est que leur effort, autrement puissant, est réparti dans tout le corps et s’y accuse en traits visibles. Ainsi, nous apercevons tout de suite qu’il y a deux sortes de courses : la course-allure qui est celle d’Achille et la course-concours qui est celle de nos champions. Celle-ci convient aux jeunes gens que leurs goûts incitent ou que leurs avantages physiques prédestinent aux succès de la piste ; la première est pour tout le monde.

Tout le monde ?… Eh ! pourquoi pas ? « La course, disais-je jadis dans la Gymnastique utilitaire, n’est que le trot de l’animal humain… Que vaut un animal qui ne peut se mettre au trot ? » La raison est péremptoire. L’homme qui ne sait pas courir est un homme incomplet.

Notez que, de tous les exercices, il n’en est pas de plus simple. Mais il a quelque chose de terrible contre lui ; il exige la quasi-quotidienneté. La mémoire musculaire est longue ; elle vient au secours de l’homme pour toutes les autres formes d’exercices. On s’y entretient à des intervalles qui varient selon l’âge et l’individu, mais ne demandent pas à être aussi rapprochés qu’on le croit généralement. Très vite, au contraire, s’oublie le mécanisme de la course. C’est que ce mécanisme comporte une modification totale et non partielle de l’équilibre corporel. Le fait est très intéressant. Il souligne la haute valeur gymnique de la course qui met en jeu tous les rouages. Il explique aussi la « surprise » de l’organisme désorienté par l’ensemble de conditions nouvelles qui lui sont brusquement imposées. L’habitude, dit-on, est une seconde nature. Voilà bien le cas. La course exige une seconde nature que seule l’habitude — c’est-à-