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était patent que cette allure artificielle, contraire à la structure du corps, ne se recommande ni au point de vue de l’hygiène ni au point de vue d’une application utilitaire quelconque.

Pour que la marche se transforme en sport, il faut qu’interviennent l’obstacle ou la durée, ou les deux réunis. La vitesse n’est pas un élément acceptable. L’homme qui veut aller vite, court, et si sa course est coupée par des intermèdes de marche, c’est simplement pour lui permettre par des demi-repos opportuns de ménager utilement ses forces. Tout homme doit pouvoir et savoir courir ainsi que nous l’avons exposé plus haut. Donc l’élément vitesse n’entre pas ici en ligne de compte.

L’obstacle et la durée, par contre, peuvent faire du marcheur un sportif. Mais comme nous voilà loin du monsieur dont s’évoquait tout à l’heure la silhouette et qui se prétend sportif parce qu’il marche une heure ou deux — ou même trois chaque jour. Ce monsieur se promène, « prend de l’exercice ». À aucun moment, à aucun degré il ne fait du sport. Le sport commence aux environs du trentième kilomètre, à l’entrée de la forêt embroussaillée et ravinée qu’on va traverser ou au pied de la montagne qu’on va escalader. Il s’épanouit autour de la tente qu’on dresse à l’étape.

Et — je sais qu’on va me honnir et me traiter d’hérétique, mais j’ai de ce péril une si grande habitude qu’il m’est devenu indifférent — même ainsi, ce n’est pas un sport absolument complet. Le véritable alpinisme, ah ! oui, celui-là est complet et combien magnifique ! J’ai exposé jadis pourquoi il convenait de le classer parmi les sports de combat et quelle était la bataille puissante, réfléchie, tenace que l’alpiniste livrait à la montagne — par quelles ruses merveilleuses, par quels décevants mirages, par quels imprévus terribles celle-ci se défendait — comment enfin à lutter de la sorte se formait un riche trésor de connaissances et d’expérience permettant à qui le possède de goûter fortement la maîtrise de la nature… Seulement, ici encore, prenons garde au bluff. Pour un alpiniste, il y a neuf Tartarins. On ne peut guère se prétendre bon nageur, bon coureur, bon escrimeur, bon cavalier sans l’être ou bien sans que le mal-fondé de la prétention n’apparaisse bientôt. Il est plus aisé de se parer de la qualité d’amant de la montagne ; un grand nombre n’y manquent point.

L’alpinisme — le vrai — et la traversée de terrains difficiles ainsi mise à part, il reste la marche ordinaire, dont je viens de dire qu’elle ne devenait sportive qu’aux environs du trentième kilomètre et que, même ainsi, ce n’était pas un sport absolument complet. C’est que ce sport-là est de pure endurance. Non