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PORTER

Parmi les exercices qui peuvent être utilisés en matière de sauvetage, il est bien évident que celui-là tient un rang éminent. Mais il n’est pas « classé », de sorte qu’on n’en a ait l’objet d’aucun enseignement. Le préjugé s’est établi que lorsqu’on est fort, on sait soulever, et que le poids auquel on s’attaque doit être en rapport direct avec la force générale dont on dispose.

Ceci est tout à fait faux. Sans doute, un être faible se trouvera désarmé en face d’un fardeau trop pesant. Mais un être moyennement fort décuplera son pouvoir à cet égard s’il sait bien se placer et conduire son effort — s’il emploie, en un mot, les trucs appropriés. Et l’ignorance de ces mêmes trucs handicapera, par contre, de la façon la plus fâcheuse, l’individu dont la vigueur naturelle ou même acquise n’aura pas été exercée à y faire appel en cas de besoin. Parmi les pompiers et les sauveteurs de profession, tout le monde sait cela.

Ces attitudes, cette disposition ingénieuse de la mécanique corporelle, peut-on, doit-on les enseigner aux adolescents ? Sans aucun doute. Mais cela ne s’est point fait jusqu’ici à cause d’un sport mal famé dont la réputation, d’ailleurs imméritée, est venue s’interposer. Le « travail des poids » est l’apanage des « hercules de foire ». Étonnant prestige des formules ! Que vient faire ici la foire ? Premièrement, il y a des hercules autre part qu’à la foire et, secondement, il n’est pas nécessaire d’être un hercule pour bien « travailler les poids ». Dans tous les gymnases, il y a des élèves robustes qui arrivent, aux haltères, de très jolis résultats sans se déformer ni devenir obèses ; vraiment il serait temps d’en finir avec ce cliché qui a tant servi aux inventeurs de méthodes « harmonieuses », la naïveté et l’ignorance du public aidant.

Mais le travail des poids est un sport artificiel comme le trapèze ou les anneaux. On peut même discuter jusqu’à quel degré il sert de préambule à l’art de soulever. L’arraché, le développé ou le jeté sont des façons diverses, curieuses et athlétiques d’atteindre un objectif qui est, en somme, toujours le même : élever un poids à bout de bras au-dessus de la tête. Et les applications en sont rares et quasi-négligeables. À deux mains, c’est la barre à sphères ou la « gueuse » que l’on manie ; la première partie du geste se rapproche déjà plus de la réalité : c’est le geste par lequel on enlève de terre un fardeau à porter dans les bras. Car l’homme porte le fardeau de trois façons : dans les bras, sur l’épaule, sur le dos. Il doit les soulever, les