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le 16 mai.

L’opinion publique a, chez nous, la manie de la responsabilité. Sous le coup d’une émotion quelconque ou de quelque événement imprévu, l’opinion s’en prend toujours à quelqu’un et ne s’apaise qu’après avoir exécuté — fût-ce un innocent. Elle ressemble à ces hommes de caractère emporté qui, pour dominer leur colère, brisent un meuble et retrouvent aussitôt le calme et la lucidité. Quand un peuple a de si dangereuses habitudes, on ne peut lui offrir qu’un ministère à renverser. Car s’il a un chef responsable et qu’il s’attaque à lui, c’est une révolution.

Bon nombre de crises ministérielles survenues sous le régime de 1875 nous ont évité des révolutions : les motifs qui les occasionnèrent furent souvent puérils, mais on ne peut raisonner avec une opinion qui ne se possède pas, et ces crises jouèrent le rôle bienfaisant d’une soupape de sûreté. D’autre part, il n’est pas exact qu’elles aient désorganisé l’administration ; au début, cela a pu être, mais le mal fut vite réparé. Dans la plupart des ministères, le ministre, en dehors de son rôle politique de membre de gouvernement, ne fait qu’entr’ouvrir le portefeuille dont il est titulaire. Des directeurs et des chefs de service, jouissant de stabilité et d’autorité, accomplissent sous un chef diffé­rent une besogne identique, dans le même esprit. Ainsi s’explique que de grandes réformes aient pu être entreprises et menées à bien avec lenteur et esprit de suite[1].

Dans cette mise en pratique de la République parlementaire, tout fut donc imprévu et paradoxal. Une Assemblée d’origines et de tendances monarchistes a fondé la

  1. Cet état de choses paraît en voie de se modifier dans le sens d’une action plus personnelle du ministre dans les affaires de son département.