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la question sociale.

« les exploiteurs, capitalistes et bourgeois » ; mais l’anarchie paraît être un état d’esprit bien plutôt qu’une secte. Elle a agi ; elle a peu écrit. Le document le plus intéressant où soient exposées ses théories est la déclaration lue par Émile Henry, le 29 avril 1894, devant le jury qui le condamna à mort[1]. Cette déclaration est remarquable en plus d’un point. On y suit très nettement la genèse de la haine sociale qui se développe dans le cœur des révoltés, mais on n’y relève point le plus léger éclaircissement sur la solution entrevue par eux ; on y perçoit, en revanche, les traces d’un incommensurable orgueil qui les aveugle complètement sur l’importance et sur les conséquences de leurs actes. « J’ai voulu montrer à la bourgeoisie, s’écrie emphatiquement Émile Henry, que désormais il n’y aurait plus pour elle de joies complètes ! » Il est évident que les « compagnons », comme ils se désignent eux-mêmes, sont, en quelque sorte, hypnotisés par le mystère dont ils s’entourent, par les entretiens qu’ils ont les uns avec les autres, par une espèce de foi en leur mission, si l’on peut employer de pareils termes en parlant de semblables criminels. La preuve en est que, sortis de leur milieu, arrachés à son influence délétère, ils aperçoivent les choses sous un angle différent. Antoine Cyvoct, qui avait été condamné à mort, en 1883, à la suite de l’explosion du café Bellecour, à Lyon, et avait vu sa peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité, adressait de l’île Nou à ses amis, le 18 janvier 1894, une lettre dans laquelle, après s’être déclaré en solidarité avec eux, il leur disait : « Arra-

  1. Émile Henry avouait être l’auteur des attentats de la rue des Bons-Enfants et du café Terminus.