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la question sociale.

qu’elle se termine sans effusion de sang. En France, elle a rarement été sanglante ; sa légitimité n’en fut pas moins discutée[1]. On déniait aux ouvriers le droit de défendre leurs intérêts par une cessation simultanée du travail ; un tel acte semblait un crime contre la société. À plus forte raison leur déniait-on le droit de se mettre en grève pour une cause d’ordre moral. Le « point d’honneur » a souvent provoqué leur résistance. Ce fut le cas notamment pour la célèbre grève de Carmaux. Les ouvriers luttaient pour leur liberté politique ; la Compagnie, pour sa prérogative directoriale[2] ; elle en usait maladroitement, mais cette prérogative n’en existait pas moins. En toute autre circonstance, on eût admiré le remarquable esprit de solidarité, la puissance de sacrifice pour une idée dont firent preuve les grévistes de Carmaux. Mais la passion aveugle, et leur conduite fut censurée d’une manière injuste et irréfléchie.

  1. La grève est ancienne dans le monde. Elle existait, en Égypte, sous Ramsès ii. Il est à noter qu’en France, la plupart de ses caractères actuels. En 1724, raconte M. Franz Funck-Brentano dans la Revue rétrospective, des ouvriers typographes ayant été appelés d’Allemagne à Paris par les maîtres imprimeurs, il s’ensuivit un abaissement de salaire et une protestation générale. Un jeune ouvrier de vingt-trois ans, François Thominet, se trouvait à la tête du mouvement ; on se saisit de lui ; il fut mis en secret, au Petit-Châtelet, plusieurs mois durant. La même année, les bonnetiers se mettaient en grève, parce qu’on avait réduit leurs salaires. Le syndic des marchands bonnetiers demanda au contrôleur général de sévir contre les « cabalistes ». — Grève, coalition, cotisation pour soutenir la grève, menaces, atteintes à la liberté du travail, tout s’y produit comme de nos jours. Seulement, la lettre de cachet avait raison des meneurs.
  2. Il est à remarquer que le même cas s’est présenté à Saint-Denis ; les patrons, mieux avisés, ont donné à l’ouvrier élu maire toutes facilités pour remplir les devoirs de sa charge. On se rappelle que le conflit de Carmaux avait pour origine l’élection à la mairie et au conseil d’arrondissement de l’ouvrier Calvignac et le renvoi par la Compagnie de ce même Calvignac sans motif plausible autre que la dignité dont l’avait revêtu le suffrage universel.