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les idées et les mœurs.

que déguisement et en quelque lieu que ce fût, si bien que les écoles les plus diverses ont pu se réclamer de lui et que ses ouvrages fournissent du renfort à toutes les armées. C’est là un fait extrêmement rare et qui ne pouvait manquer de frapper par sa nouveauté. Taine avait commencé à écrire en des jours de défaillance où l’on doutait de tout, sauf de la légitimité du doute, en sorte que le doute était devenu peu à peu une religion négative et que, même pour être rangé parmi les négateurs, il fallait réciter un Credo. Or la négation ne saurait longtemps satisfaire les hommes ; on était las de nier ; on ne pouvait pas croire, mais on voulait bien savoir. Taine prouva qu’il était possible d’apprendre en dehors de toute idée préconçue, de tout principe posé à priori ; que pour cela il suffisait d’aller de l’avant en donnant son attention à la moindre pierre du chemin, en n’éludant aucun obstacle, en n’admettant aucune entrave. Dût-elle ne pas produire de résultats directs, une telle méthode contenait le germe d’un perfectionnement illimité pour celui qui la mettait en pratique.

Ces choses toutefois n’étaient pas connues hors de l’enceinte d’un petit cénacle d’esprits ouverts et audacieux. La science ne pouvait conquérir la jeunesse française sans qu’on l’habillât, qu’on la rendit attrayante. Ce fut l’œuvre d’Ernest Renan. Dans le style de Taine, « l’épithète était toujours un argument : tout visait à instruire et à convaincre ; rien n’était sacrifié au désir de plaire ou de séduire[1] ». Dans celui de Renan, le poète transparaît sous le savant. « Son érudition lui fournit des aperçus profonds

  1. A. Sabatier, Taine (journal le Temps, 7 mars 1893).